« Black Panther » bat des records au box office. / Matt Kennedy / AP

On peut être un super-héros Marvel et parler une langue bantoue inconnue de la majorité du grand public. C’est le cas de Chadwick Boseman, l’acteur qui incarne T’Chaka, roi du royaume africain fictif du Wakanda dans Black Panther, la superproduction qui bat des records au box-office, sortie le 14 février en France. Pour les besoins du film, cet Américain a appris, comme plusieurs autres membres du casting, le xhosa, également appelé coussa ou cadre, une des onze langues officielles d’Afrique du Sud.

La langue figure dès les premières répliques du film, « lorsque je dis “tu m’as manqué mon fils, cela faisait longtemps” », raconte l’acteur sud-africain John Kani, qui interprète le père de T’Chaka, lors de l’avant-première du film à Los Angeles, à la fin de janvier.

L’introduction du xhosa dans une superproduction hollywoodienne est une première. Plusieurs acteurs sud-africains du film s’en sont félicités lors de l’avant-première, à la mi-février, à Johannesburg, même si l’accent des acteurs américains ayant appris la langue pour les besoins du long-métrage était loin d’être parfait, souligne ABC News. Le xhosa « est l’une des langues les plus difficiles sur terre », a convenu l’actrice mexico-kényane Lupita Nyong’o, qui incarne une espionne wakanda dans le film.

« Pourquoi parlerais-je en anglais à mon fils ? »

John Kani a eu l’idée d’introduire le xhosa dans le film lors du tournage de Captain America: Civil War, première apparition cinématographique du personnage de Black Panther dans la nouvelle galaxie Marvel période Disney. Le journal Brand South Africa relate que John Kani, lui-même locuteur natif de la langue, s’est tourné vers les réalisateurs Joe et Anthony Russo lors du tournage d’une scène initialement écrite dans la langue de Shakespeare :

« Je leur ai demandé : “Pourquoi parlerais-je en anglais à mon fils ? Nous sommes censés être africains.” »

Joe et Anthony Russo ont été convaincus et ont intégré cette langue atypique, du point de vue occidental — il s’agit en effet d’une langue à clics, c’est-à-dire dont certaines consonnes sont émises d’un son de claquement de langue à l’arrière de la bouche. Celle-ci s’est imposée comme la langue officielle du Wakanda. « Lorsque j’ai tourné Civil War, j’étais l’expert de la langue et mes collègues américains me demandaient de leur donner quelque chose à dire avec un clic — ils faisaient référence au xhosa, relate John Kani dans la version sud-africaine de MTV. Mon fils et moi avons tourné à Atlanta ensemble, quand je suis parti, il est resté pour le tournage. Il a pris le relais comme consultant linguistique. »

Le xhosa, qui appartient à la grande famille des langues bantoues et au groupe nguni, compte huit millions de locuteurs. Il est parlé quasi exclusivement en Afrique du Sud, où il est l’une des onze langues officielles du pays et la seconde en nombre de locuteurs — 16 % des Sud-Africains la parlent. C’est notamment la langue majoritaire du Cap-Oriental, dans le sud-est du pays.

Le xhosa est célèbre pour ses clics, dont il existe trois variantes, selon qu’ils sont associés au son « k », « s », ou « t ». Le nom même de la langue se prononce « k*osa », en claquant l’arrière de la langue. A la rédaction de Pixels, on n’a pas réussi, mais l’humoriste sud-africain et présentateur de télévision Trévor Noah clique haut la main.

trevor noah speaking xhosa
Durée : 01:33

Un système d’écriture inspiré des idéogrammes nigérians

A noter que dans Black Panther, la civilisation wakanda utilise un alphabet qui, lui, n’a pas de lien avec le xhosa. En revanche, le long-métrage de Marvel puise dans une authentique écriture traditionnelle, le nsibidi, un système d’idéogrammes utilisé par la confraternité ékpé, dans la région du Nigeria et du Cameroun depuis au moins le XVe siècle. Celui-ci a été réinterprété pour l’occasion par Hannah Bleacher, production designer du film, relate Indie Wire.

Contrairement à une idée reçue qui voudrait que les colons européens aient apporté l’écriture aux langues d’Afrique, plusieurs systèmes préexistaient à l’arrivée des explorateurs portugais, dont certains de longue date. Le guèze éthiopien date du IVe siècle avant Jésus-Christ, le tifinagh berbère, du IIIe siècle, sans même évoquer les différents systèmes égyptiens, comme le hiéroglyphe, le hiératique et le démotique.

Des décors aux tenues, « Black Panther » emprunte à plusieurs systèmes pictographiques africains. / Matt Kennedy

Dans le contexte du film, le nsibidi a été en partie réinterprété pour coller à l’idée d’une civilisation africaine futuriste, explique Hannah Bleacher. « L’écriture devait évoluer des anciens hiéroglyphes en une version plus moderne. Nous l’avons utilisée d’une manière pictographique mais le système numérique est resté le même. »

Les costumes empruntent par ailleurs de nombreux symboles adinkra, un système de codes visuels développé dans la région du Ghana et de la Côte d’Ivoire pour représenter des concepts ou des devises. Ceux-ci avaient déjà été largement utilisés comme clins d’œil culturels par l’artiste Afua Richardson, autrice du livre d’illustration World of Wakanda.