Affiches de campagne pour les élections législatives du 4 mars, à Pomigliano d’Arco, près de Naples, le 21 février 2018. / Alessandro Bianchi / REUTERS

Editorial du « Monde ». Entre une Allemagne qui se cherche et une Grande-Bretagne qui s’en va, la dernière chose dont l’Europe a besoin est une Italie qui se brouille. Les élections législatives organisées dimanche 4 mars dans la Péninsule, et dont les résultats s’annoncent particulièrement incertains, représentent pourtant une nouvelle menace pour la cohésion de l’Union européenne.

Dans ce pays cofondateur du projet européen, longtemps l’un des plus euroenthousiastes, cette campagne électorale a été marquée par la poussée de partis eurosceptiques de tous bords. Certes, en fin de course, la Ligue du Nord, d’extrême droite, comme le populiste Mouvement 5 étoiles ont modéré leurs critiques contre Bruxelles et renoncé à évoquer une sortie de l’euro. Certains analystes ne voient cependant dans cette prudence tardive qu’un virage tactique, encouragé par la perspective d’une victoire prochaine.

Le scénario le plus favorable à l’intégration de l’Italie dans l’UE, celui d’une grande coalition rassemblant le centre gauche autour de Matteo Renzi et le centre droit autour de Silvio Berlusconi, semble chaque jour plus improbable. Le scénario catastrophe vu de Bruxelles serait celui d’une coalition de droite dans laquelle la Ligue du Nord de Matteo Salvini aurait pris le dessus sur la droite berlusconienne.

Comment l’Italie en est-elle arrivée là ? Il faut sans doute remonter à 2011 et à la démission, sous la pression conjointe des marchés et des partenaires européens, d’un Silvio Berlusconi discrédité. S’il est tout sauf étranger aux maux qui ont entraîné sa chute, « Il Cavaliere », revenu sur le devant de la scène à 81 ans à la faveur de cette singulière campagne, ne manque jamais de rappeler qu’à ses yeux ce qui s’est passé en 2011 était un coup d’Etat. Mario Monti, qui lui a succédé, a certes évité que le pays se trouve placé sous tutelle comme la Grèce et le Portugal, mais au prix de la mise en œuvre de recettes bruxelloises dont le coût social a été très mal vécu par les Italiens.

Tous les symptômes de la crise des démocraties occidentales

La solitude dans laquelle le pays a géré l’afflux de plus de 600 000 réfugiés depuis 2013 a achevé de mettre à mal l’attachement des Italiens à l’Europe. Le manque de solidarité européenne a porté un coup terrible à la popularité de la majorité de centre-gauche, successivement dirigée par Enrico Letta, Matteo Renzi et Paolo Gentiloni, qui s’est pourtant efforcée de respecter ses engagements vis-à-vis de Bruxelles. L’idée qu’avec l’Europe la loyauté et les efforts ne paient pas s’est ainsi installée dans l’opinion italienne.

Aujourd’hui, aucun des partis en lice dans la troisième économie de la zone euro ne prône la poursuite des efforts de maîtrise des finances publiques. Sur le front économique, la campagne s’est résumée à une accumulation de promesses mirifiques, chiffrées en centaines de milliards d’euros, qui ne seront sans doute jamais tenues. Sur le front politique, l’Italie de 2018 présente à peu près tous les symptômes de la crise des démocraties occidentales : affaiblissement des partis politiques traditionnels, montée des extrêmes, vogue des candidatures antisystème, désaffection de l’électorat et taux d’abstention record. Avec, en prime, une spécificité locale : la percée de forces néofascistes, à l’occasion d’élections locales.

Le hasard du calendrier a voulu que le 4 mars soit aussi, en Allemagne, le jour du verdict du SPD sur le contrat de coalition avec la CDU. Espérons que l’Europe, ce jour-là, se remette en ordre de marche.