L’écrivain congolais Blaise Ndala. / Etienne Ranger

Si la République démocratique du Congo (RDC) domine largement la scène musicale, ses écrivains ont été plutôt discrets jusqu’à la publication d’une nouvelle génération de romanciers à la plume bien trempée. Après le succès d’In Koli Jean Bofane (Mathématiques congolaises, Congo Inc.) et de Fiston Mwanza Nasser Mujila (auteur notamment d’un premier roman, Tram 83, remarquable), voici qu’un troisième larron, Blaise Ndala, nous arrive d’Ottawa, au Canada.

Vous êtes né en RDC, vous vivez à Ottawa. Si vos écrits sont connus au Canada, mais ce n’est pas encore le cas en Europe et en Afrique.

Blaise Ndala Je suis effectivement né en RDC. J’y ai étudié le droit à l’université de Kinshasa, avant de rejoindre Louvain-la-Neuve, en Belgique, pour me spécialiser dans les droits humains. Quatre ans plus tard, j’ai choisi d’aller vivre au Canada. C’est de ce bout de l’Amérique que j’entends battre le pouls du monde depuis onze ans, sauf un intermède de près d’une année lorsque je suis allé en Haïti représenter Avocats sans frontières Canada. Aujourd’hui, je travaille pour le Bureau de l’enquêteur correctionnel du Canada [chargé d’agir comme médiateur pour les délinquants sous responsabilité fédérale].

Quant à l’écriture, il s’agit d’un virus attrapé à la prime jeunesse, grâce à des parents enseignants. Mais pour que le juriste et l’écrivain se regardent enfin les yeux dans les yeux, il aura fallu le chantage, en 2011, d’une fille qui me menaçait d’envoyer chez un éditeur un tapuscrit trouvé dans un tiroir de mon appartement. C’est pour lui couper l’herbe sous le pied que j’ai accouché de ce qui allait devenir mon premier roman, J’irai danser sur la tombe de Senghor. L’accueil réservé à ce livre scella mon sort : je ne pouvais plus retourner dans le placard.

Le choix du Canada n’avait donc rien d’un rêve d’enfance ?

Pas du tout. Pour le jeune Zaïrois que j’étais, le rêve du « pays des quatre saisons », comme disent les Kinois, rimait davantage avec l’Europe qu’avec la lointaine Amérique. Je rêvais d’Europe, une Europe fantasmée. Le Canada fut un choix longuement réfléchi, avant de se décliner en une extraordinaire aventure humaine.

Romans, nouvelles, blog… À quoi attribuez-vous cet éclectisme qui caractérise votre écriture ?

Autant à mon parcours qu’à mon esprit qui a tendance à se rebeller aussitôt qu’il est cantonné dans un silo. C’est qu’il y a là-dedans à la fois l’ancien gamin qui parodiait le présentateur du journal de la Voix du Zaïre [l’ancienne radio d’Etat], le juriste des droits humains qui trouva sa vocation sur les planches du théâtre scolaire dans une pièce sur l’apartheid avant de créer un journal universitaire, et l’écrivain qui a mis du temps à s’assumer.

Vous êtes publié par Mémoire d’encrier, un éditeur montréalais, loin des gros labels parisiens. Que vous inspirent les débats qui traversent la francophonie en ce moment ?

Vivant en Ontario, je fais partie de cette francophonie en situation minoritaire, comme les francophones vivant en Acadie et ailleurs au Canada anglais. Heureusement qu’existent dans ces espaces des acteurs qui vivent et magnifient le fait français sans se questionner sur le temps qu’il fait à Paris. De fait, si depuis l’arrivée de Samuel de Champlain en Nouvelle-France, en 1608, le français a su résister à l’anglais, qui fut pourtant la langue du vainqueur, c’est qu’il y a dans le destin de cet idiome quelque chose de plus fort que le bon vouloir d’un monarque français, fût-il républicain.

Peut-être qu’Emmanuel Macron réussirait son pari de « déringardiser » le français s’il faisait des choix mieux inspirés que l’unilatéralisme et le francocentrisme que d’aucuns lui reprochent. Quant à l’Organisation internationale de la Francophonie, cadre multilatéral qui aurait pu contenir toute velléité d’un président français d’enrôler sous sa bannière ceux que la France considère comme des « supplétifs francophones » dans la reconquête des territoires perdus de l’empire, son efficacité reste à prouver. Le moins que l’on puisse dire, c’est qu’elle semble avoir renoncé à accompagner le rêve d’émancipation de la jeunesse francophone, en particulier africaine.

Votre premier roman est en cours d’adaptation à Hollywood par le réalisateur franco-algérien Rachid Bouchareb. Vous attendiez-vous à un tel rebondissement lorsque vous avez gagné le Prix du livre d’Ottawa en 2015 ?

Aucunement. Lorsque Rachid Bouchareb m’a contacté en 2016, je suis resté sans voix. J’avais vu ses films, mais à aucun moment je n’aurais pensé que mon roman se retrouverait dans les mains du réalisateur d’Indigènes, que cette fiction qui revisite le combat du siècle entre Mohamed Ali et George Foreman à Kinshasa en 1974 séduirait un réalisateur de sa trempe et qu’il me propose en plus la co-scénarisation ! Il s’agit là d’une expérience exaltante qui m’a tiré de ma zone de confort pour explorer un genre dont j’ignorais les codes il y a à peine quelques mois.

Votre deuxième roman est une satire féroce d’un jeu de dupes où l’Afrique est victime de l’incurie des vrais-faux humanitaires, des multinationales et de ses propres démons. Quel message vouliez-vous transmettre ?

Dans Sans capote ni kalachnikov, ma démarche était double. D’abord, montrer que l’héritage littéraire de Joseph Conrad, auteur du célèbre Au cœur des ténèbres, a imprégné l’imaginaire occidental au point d’aboutir aux représentations les plus négatives sur l’Afrique noire en général, le Congo en particulier. Ensuite, suggérer que ces représentations ne sont pas étrangères au discours laudateur sur « l’aide » à une Afrique engluée dans la pauvreté. Tout cela alors que sur le terrain, toutes sortes de vautours, aussi bien étrangers que locaux, s’illustrent par des pratiques que les peuples qui luttent pour préserver leur dignité refusent de cautionner. Sans vouloir donner de leçon, l’idée était d’inviter le lecteur à rester un « être qui toujours s’interroge », pour paraphraser Frantz Fanon.

Abdourahman A. Waberi est né en 1965 dans l’actuelle République de Djibouti. Il vit entre Paris et les Etats-Unis, où il a enseigné les littératures francophones aux Claremont Colleges (Californie). Il est aujourd’hui professeur à la George-Washington University. Auteur, entre autres, d’Aux Etats-Unis d’Afrique (éd. J.-C. Lattès, 2006) et de La Divine Chanson (éd. Zulma, 2015). En 2000, Abdourahman Waberi avait écrit un ouvrage à mi-chemin entre fiction et méditation sur le génocide rwandais, Moisson de crânes (ed. Le Serpent à plumes), qui vient d’être traduit en anglais, Harvest of Skulls (Indiana University Press, 2017).