Laurent Wauquiez, président du parti Les Républicains, à Saint-Priest, le 7 décembre 2017 REUTERS/Robert Pratta/File Photo / Robert Pratta / REUTERS

Chronique Phil d’actu. Il y a quelque temps déjà, je m’étais ici même interrogé sur le « parler-vrai » revendiqué par les politiciens actuels, le Président de la République en tête. Je soulignais alors le « moralisme » que suppose cette expression, signe de la relégation de l’action politique à une « adaptation au réel ».

Que ce soit dans les enregistrements clandestins diffusés dans l’émission Quotidien (TMC, 16 et 19 février 2018) ou dans ses tentatives de justification sur BFMTV (20 février), Laurent Wauquiez fait un pas supplémentaire dans ce « moralisme ». Non seulement il assume « sortir de la langue de bois », mais en plus il fait appel à « l’exemplarité » plutôt qu’à la justice et affirme représenter « une droite qui ne s’excuse pas ». Finalement, il pense que le « système médiatique » ne lui pardonne pas « d’avoir une parole libre », d’être « un peu trop direct, pas assez dissimulateur ». Que signifie cette rhétorique mélangeant le complotisme et la morale ?

Une liberté de pure forme

De même que « la vérité », l’idée de « liberté » est merveilleusement positive : on ne peut pas plus être favorable au mensonge qu’à la censure. Laurent Wauquiez peut ainsi se placer dans la position de victime, une rhétorique très classique dans le jeu politique, notamment à droite (l’argument a été maintes fois brandi par Nicolas Sarkozy et François Fillon). « L’acharnement » s’expliquerait par les jeux d’intérêt ou par l’idéologie, la fameuse « bien-pensance » supposée empêcher de dire tout haut ce que tout le monde pense tout bas et qui sert aujourd’hui à légitimer les discours les plus réactionnaires.

En plus d’être une victime, M. Wauquiez peut aussi se présenter comme un résistant : lui au moins, il dit les choses, il ne se laisse pas contraindre au « bullshit » médiatique. Plus encore que le « parler-vrai », le « parler-libre » signifie le héros, celui qui triomphe des forces obscures. Ajoutez à cela le champ lexical religieux (« péché », « croyance », « épreuve ») et le doute n’est plus permis : Laurent Wauquiez est un véritable martyr.

Mais ce qui est paradoxal, c’est que cette liberté de parole est purement formelle. En un sens, il a raison d’interroger ce qu’on lui reproche d’avoir dit : sur le fond, il n’a rien dit du tout. On lui reproche des attaques ad hominem, des petites vacheries et des accusations sans preuve. Où est le politique là-dedans ? Nulle part. Il n’a donc aucun problème à assumer ses propos. Laurent Wauquiez et les journalistes qui se sont emballés dans cette affaire confondent la brutalité et l’honnêteté, la liberté de ton et la liberté de pensée.

Où commence et où s’arrête le « bullshit » ?

Le vrai problème de « l’affaire Wauquiez », c’est qu’en assumant les propos qu’il a tenus à l’École de management de Lyon, il assume aussi qu’il dit du « bullshit » (comprenez : des fariboles) sur les plateaux de télévision. Nous sommes en plein dans la contradiction performative consistant à dire à la télévision qu’il est vrai qu’on ment quand on passe à la télévision… Une question se pose alors : quand dit-il la vérité et quand ment-il ? Or nous avons vu que devant ses étudiants comme sur BFMTV, il n’a finalement rien dit d’important. Peut-on mentir quand on ne dit rien ?

En fait, ce que M. Wauquiez appelle « bullshit » ne concerne peut-être pas le contenu du discours, mais la manière de « tourner » ce discours, sa forme. Il est clair que dans les médias, on n’utilise pas le terme « bullshit » et on n’insulte pas ses petits camarades. Donc on lui reprocherait de faire ce que tout le monde fait et a toujours fait : s’adapter à son auditoire (peut-être a-t-il voulu « faire jeune » ou bien provoquer pour faire rire l’assistance). Mais si ce reproche est infondé, s’en enorgueillir l’est tout autant. La brutalité de la forme, qu’on l’appelle « parler-vrai » ou « trumpisation » du discours politique, relève d’un choix rhétorique mais ne dit rien du contenu du discours.

Cependant, ce choix dit tout de même quelque chose de la personnalité de M. Wauquiez : pur produit de l’élitisme à la française (grands lycées parisiens, Normale Sup, agrégation d’histoire, Science Po, ENA), il cherche peut-être à montrer qu’il sait rompre avec la langue trop lisse ou trop technique dont le discours public actuel est rempli et qu’on s’attend à le voir employer.

Toutefois, parler « mal » ne signifie pas parler « vrai » ou « librement ». Il n’y a pas de discours libre, au sens d’« informel » ou de « décomplexé ». Tout discours est astreint à des normes très strictes qui dépendent du contexte d’émission et de réception, et celui-ci n’échappe pas à la règle.

Respecter la liberté de non-expression

Rien d’étonnant, dès lors, à ce que Laurent Wauquiez assume parfaitement ses propos, dénués de tout contenu politique, pour se réfugier sur le terrain de la morale, car son discours public ne vise finalement qu’à une seule chose : se démarquer. Les deux fondements idéologiques de la droite, le libéralisme économique et le conservatisme social, sont revendiqués respectivement par La République en Marche et par le Front National, les deux finalistes de l’élection présidentielle. Dans ces conditions, comment incarner une offre politique différente ?

La solution réside dans la forme du discours, à mi-chemin entre la vulgarité assumée de l’extrême droite et la novlangue technico-pragmatique de l’extrême-centre. Finalement, le « bullshit » de M. Wauquiez nous en dit beaucoup sur la réalité du fonctionnement du discours médiatique, dans lequel ce qui compte ce n’est pas ce qu’on dit, mais la manière de le dire. Là encore, la morale apporte le « supplément d’âme » nécessaire à ce qu’une grossière manœuvre rhétorique n’apparaisse pas comme telle. Même si M. Wauquiez ne dit rien, il peut venir se plaindre qu’on l’empêche de le dire, et ça, ce n’est pas bien !

A propos de l’auteur de la chronique

Thomas Schauder est professeur de philosophie. Il a enseigné en classe de terminale en Alsace et en Haute-Normandie. Il travaille actuellement à l’Institut universitaire européen Rachi, à Troyes (Aube). Il est aussi chroniqueur pour le blog Pythagore et Aristoxène sont sur un bateau. Il a regroupé, sur une page de son site, l’intégralité de ses chroniques Phil d’actu, publiées chaque mercredi sur Le Monde.fr/campus.