Quinn et ses deux chiens, l’une des premières rencontres de « Where the Water Tastes Like Wine ». / Serenity Forge

C’est un jeu pas comme les autres, dans lequel il n’y a pas de but apparent, pas vraiment de scénario non plus.

Where the Water Tastes Like Wine (WWTLW), sorti mercredi 28 février sur PC, Mac et Linux, raconte pourtant bien une histoire. Et même beaucoup d’histoires.

Des histoires minuscules, des anecdotes cocasses, des scènes surréalistes. Autant de vignettes qui, juxtaposées, dessinent une image de l’Amérique qu’il sera difficile d’oublier.

Dès les premiers instants de WWTLW, un loup anthropomorphe (doublé par le chanteur Sting) fait comprendre au joueur qu’il a perdu aux cartes. Perdu quoi ? On ne le saura pas. Mais il a gagné une occasion : celle d’errer à travers les quarante-huit Etats d’Etats-Unis sans âge, coincés quelque part entre la fin du XIXe siècle et la fin du Summer of Love, peuplés de curieux fantômes.

Au départ grisante, l’errance sur la carte en 3D devient sur la fin assez rébarbative. / Good Shepherd Entertainment

Il est urgent de décrire ce qu’il se passe dans WWTLW, tant cela ne ressemble à rien de connu. Le joueur y incarne un squelette errant. Sur son épaule, un baluchon qu’il ne défera jamais. Sur une carte en trois dimensions des Etats-Unis, façon maquette, il se promène librement, va de ville en ville, fait du stop, bondit par-dessus les frontières des Etats, saute dans des trains sans trop savoir vers où ils se dirigent. A New York, Chicago, à la Nouvelle-Orléans, il peut faire une pause, la manche, trouver un petit boulot, acheter un truc à manger.

La carte n’est pas spécialement belle, un peu éprouvante à parcourir au bout de la dixième heure. Dans la dernière ligne droite du jeu, on en vient même à ne plus pouvoir très bien supporter sa (pourtant superbe) bande originale country et blues. Pas sa meilleure idée.

Where The Water Tastes Like Wine - Characters Trailer 2
Durée : 01:12

Des anecdotes comme des cartes

Mais l’essentiel n’est pas là. C’est surtout dans les campagnes et dans les villages que le cœur de ces Etats-Unis bat. Là, le joueur peut tomber sur une scène surréaliste décrite en quelques phrases, illustrées avec beaucoup de talent, narrées par une voix qui procure des frissons. Souvent, il n’y a rien à faire, sinon à assister à ce qui ressemble souvent à un rêve éveillé.

Parfois, il faut faire des choix, à la manière d’un livre-dont-vous-êtes-le-héros. Confronté à une chèvre aux ailes de cuir, allez-vous boire avec elle l’eau de la rivière, ou tentez de la caresser ? Et allez-vous venir au secours de cet homme qui vient de sortir en titubant d’un saloon, la chemise en sang ? Faut-il ouvrir la porte à ce chien enfermé dans une vieille auto rouillée, comme il vous l’intime curieusement ?

Plus de deux cents anecdotes attendent ainsi le joueur, des anecdotes qui seront comme autant de cartes qu’il pourra abattre au moment opportun. Car aussi infatigable notre squelette errant puisse sembler, il lui faut parfois poser son baluchon. Au coin du feu, le jeu passe alors en 2D, tandis qu’apparaît le portrait de notre compagnon du soir.

Le joueur peut se faire une main de 48 anecdotes plus ou moins réelles, parmi les plus de 200 que réserve le jeu. / Good Shepherd Entertainment

Il y a Dupree, l’accro au jeu qui a eu des accrocs avec la loi. Franklin, le porteur de bagage qui tente d’oublier le racisme de clients qui se rêvent encore en maîtres. Quinn, le jeune gamin à la Huckleberry Finn, le regard toujours caché par son chapeau de paille. Atthea, la guitariste qui a vendu son âme au diable. Cassidy, l’auteur beat. Rocio, l’immigrée mexicaine venue chercher du boulot de ce côté-ci de la frontière.

Ils sont seize autres marginaux, vagabondant comme vous. Seize personnages dont vous croiserez la route, encore et encore, et qui vous raconteront leur histoire, à condition de savoir raconter la vôtre. C’est là, pour les aider à s’accomplir, comme pour les exorciser, qu’il faudra sortir vos anecdotes de votre manche, et les abattre au bon moment, selon qu’ils aient envie de rire, de pleurer, d’avoir peur…

Au petit matin, vos chemins se sépareront. En attendant de recroiser votre route, ils iront colporter votre histoire à leur tour, des anecdotes qui gonfleront façon téléphone arabe, et sur lesquelles vous finirez par retomber, exagérées, glorifiées, mythifiées. Et qui n’en deviendront que plus drôles, tragiques ou effrayantes.

Si les textes peuvent être passés en français, les doublages (excellents) sont en anglais uniquement. / Good Shepherd Entertainment

Deux mondes

Where the Water Tastes Like Wine, ce sont donc deux choses, a priori opposées, et qui pourtant se complètent divinement.

C’est d’abord un jeu terrible sur la mort : celle d’une Amérique qui s’apprête à disparaître. Le joueur est ici le fossoyeur de ces seize vagabonds qui incarnent, chacun à sa façon, les anges et les démons d’une certaine Amérique. L’Amérique des rêveurs, mais aussi l’Amérique de la ségrégation. L’Amérique de la magie du blues et l’Amérique des malédictions indiennes. L’Amérique des hippies mais aussi l’Amérique des laissés-pour-compte de la guerre. Seize fantômes, seize apparitions fugitives. Peut-être des dieux.

Mais parce que c’est un jeu où l’on s’échange des histoires, où on les regarde enfler, muter, jusqu’à devenir de véritables légendes urbaines, c’est aussi un jeu qui nous parle de la transmission orale et surtout, d’une nation qui est en train de s’inventer une mythologie. C’est un monde qui s’éteint sous nos yeux, laissant derrière lui les vestiges sur lesquels se bâtira le prochain.

Où est donc ce pays de cocagne où l’eau a le goût du vin (« where the water tastes like wine ») ? Eh bien, probablement là justement, à l’endroit où ces deux Amériques se rencontrent.

L’avis de Pixels

On a aimé :

  • le concept qui ne ressemble à rien de connu
  • les illustrations délicieuses
  • la superbe bande originale
  • le doublage de très grande qualité

On n’a pas aimé :

  • le vagabondage sur la carte des Etats-Unis, lassant à force
  • une fin pas à la hauteur

C’est pour vous si :

  • vous aimez les expériences qui sortent de l’ordinaire
  • vous êtes fasciné par la mythologie américaine

Ce n’est pas pour vous si :

  • le blues vous ennuie
  • la country vous hérisse le poil
  • vous n’avez pas pardonné à Sting la fin de Police

La note de Pixels

1890/1968