Pour Christian Jacob, président du groupe Les Républicains, « si le président de la République était sûr de sa majorité, le texte [sur la réforme de la SNCF] passerait par l’Assemblée ». / ERIC FEFERBERG / AFP

« Un passage en force. » Dans la foulée des syndicats de cheminots, l’opposition a fustigé la volonté du premier ministre, Edouard Philippe, de recourir aux ordonnances pour faire adopter, « avant l’été », la réforme de la SNCF. En dehors de la majorité, l’ensemble des groupes de l’Assemblée nationale reproche à l’exécutif de vouloir « contourner le Parlement », après avoir déjà utilisé cet outil à l’automne dernier pour transformer le code du travail.

« En voulant réformer la SNCF par ordonnances, Macron méprise le peuple et ses représentants. Cela montre qu’il mène une politique de technocrates et qu’il ne supporte aucune contestation », s’indigne le patron des députés Les Républicains (LR), Christian Jacob. « Un gouvernement peut utiliser des ordonnances sur des transpositions de directives européennes mais pas sur un sujet qui concerne l’ensemble des Français et qui, à ce titre, mérite un vrai examen au Parlement », affirme-t-il avant de dénoncer « un mépris total de l’opposition et une humiliation totale pour la majorité ». « Si le président de la République était sûr de sa majorité, ce texte passerait par l’Assemblée », conclut M. Jacob.

Arme politique

Un constat partagé par les autres responsables de l’opposition, de La France insoumise au Front national, en passant par le président du groupe PS à l’Assemblée nationale, Olivier Faure, qui condamne « un déni démocratique ». Une formule utilisée dès le 22 février par le président LR du Sénat, Gérard Larcher, selon lequel « les ordonnances sont faites pour répondre à des situations particulières ». Et non pour légiférer sur « un sujet aussi important pour l’aménagement du territoire ». Tous appellent l’exécutif à respecter le débat parlementaire et à ne pas vouloir aller trop vite, au lieu de braquer l’opposition et des syndicats prêts à la mobilisation.

Il y a quatorze mois, le candidat Macron était d’ailleurs tout à fait conscient de ce risque et se disait même opposé à l’utilisation de cet outil prévu par l’article 38 de la Constitution. « Je ne crois pas une seule seconde aux cent jours et à la réforme par ordonnances », déclarait-il dans un entretien au Monde, le 25 novembre 2016, soulignant que « les gens le prennent très mal ». Une affirmation lancée à l’époque pour se démarquer de son rival Manuel Valls, qui avait utilisé l’article 49.3 pour faire adopter la loi travail, et des candidats à la primaire de la droite et du centre qui se disaient favorables aux ordonnances. Le discours de M. Macron avait évolué dans les mois suivants : lors de la campagne, il avait annoncé sa volonté d’y recourir pour réformer le code du travail. Mais sur la SNCF, « ce n’était pas un engagement de campagne », a relevé mardi Gilles Platret, porte-parole de LR.

Pour justifier le choix de l’exécutif, M. Philippe a mis en avant, lundi 26 février, l’« urgence » de mener la réforme ferroviaire, assurant que l’utilisation des ordonnances n’allait pas « escamoter pour autant la concertation ou le débat parlementaire ». « Lors de la réforme du code du travail, cela n’avait pas empêché le débat dans la société et au Parlement », appuie le porte-parole de La République en marche, Gabriel Attal.

Contre l’esprit de la Constitution ?

Si l’outil des ordonnances a souvent été utilisé sous la Ve République, à commencer par le général de Gaulle et son premier ministre Michel Debré, en 1960, pour maintenir l’ordre en Algérie, ou par Alain Juppé, en 1996, pour sa réforme très contestée de la Sécurité sociale, le fait que le gouvernement y ait recours à deux reprises en l’espace de quelques mois traduit la volonté de l’exécutif d’en faire une arme politique, afin d’exercer sa primauté sur le pouvoir législatif.

« Les ordonnances sont une modalité institutionnelle, qui correspond à une situation d’urgence et qui doit être exceptionnelle. Elles n’ont pas été prévues pour être un mode de gouvernement, afin de réformer vite et éviter toute menace de conflit social. Elles ne peuvent être un outil antigrève », estime l’historien Christian Delporte qui accrédite l’idée d’un affaiblissement du rôle du Parlement sous la présidence d’Emmanuel Macron : « Utiliser une fois les ordonnances n’est pas un problème mais si un gouvernement en abuse, il prive le pays d’un débat contradictoire au Parlement – qui est le fondement de la démocratie. Cela peut dénaturer l’esprit de la Constitution, déstabiliser l’équilibre des pouvoirs et renvoyer les élus de la nation au rang de spectateurs. »

Une analyse partagée en partie par Jean Garrigues. « Dans un fonctionnement idéal de la démocratie, le fait que le gouvernement ait recours aux ordonnances pour la réforme de la SNCF traduit un recul du rôle du Parlement, car il aurait été logique qu’un grand débat parlementaire ait lieu sur un sujet aussi important, portant sur l’Etat-providence », juge le professeur d’histoire contemporaine à l’université d’Orléans et à Sciences Po, et président du comité d’histoire parlementaire et politique. Avant de nuancer son propos : « Mais d’un point de vue institutionnel, cela n’est pas le cas car l’affaiblissement du rôle du Parlement est inhérent aux institutions de la Ve République, qui donne la primauté à l’exécutif. »