COLCANOPA

C’est une 43e ­céré­monie des ­Césars pas tout à fait comme les autres qui se déroulera vendredi 2 mars à Paris. Cinq mois après l’affaire Harvey Weinstein, le cinéma français s’organise et s’engage. A la veille de cette grand-messe du 7e art, retransmise en direct et en clair sur Canal+, deux tribunes, chacune signée par plus d’une centaine de professionnels du ­cinéma, pourraient susciter, sur la scène de la Salle Pleyel, des prises de parole engagées en faveur des femmes.

La première, publiée mercredi 28 février dans Libération sous le titre « Maintenant on agit », est un appel aux dons pour lutter contre la violence faite aux femmes. A l’image du fonds Time’s Up, lancé par 300 personnalités du ­cinéma américain pour lutter concrètement contre le harcè­lement sexuel après le scandale ­Weinstein, des actrices, acteurs, productrices, réalisatrices ­fran­çaises – parmi lesquelles Julie Gayet, Vanessa Paradis (qui présidera la cérémonie), Emmanuelle Devos, Sandrine Bonnaire, Adèle Haenel, Cédric Klapisch, etc. – se sont associés à l’initiative lancée par la Fondation des femmes. ­Objectif : soutenir les associations « qui œuvrent sur le terrain afin qu’aucune femme n’ait plus ­jamais à dire #metoo ». Après avoir « subi », « enduré », « s’être tu », puis avoir « crié », « balancé », ­« polémiqué », les femmes ­victi­mes de violences sexuelles « méritent d’être dignement accompagnées » pour ne pas être « vulnérables face à la justice », ­réclament les signataires.

A l’instar des Golden Globes en janvier et des British Academy Film Awards (BAFA) en février, les participants à la cérémonie sont invités à afficher leur solidarité à l’égard des femmes harcelées ou violentées. Non pas en s’habillant de noir, mais en arborant un ruban blanc (comme celui, rouge, de la lutte contre le sida). « Je ­souhaite que tout le monde en porte à sa boutonnière avec ­conviction ! C’est une façon modeste mais très déterminée de marquer les esprits et une manière aussi de dire tout notre dégoût de ce qui s’est passé à Hollywood », a indiqué, mercredi 28 février, le producteur Alain Terzian, président de l’Académie des Césars dans un entretien sur le site du Journal du dimanche (JDD). « Il faut qu’on soit obsédé par la question de l’égalité entre les femmes et les hommes. La révolution sociale est indispensable », a-t-il ajouté.

« Une ­occasion historique »

La seconde tribune, publiée dans Le Monde daté du 2 mars, demande la création de quotas dans le ­financement du cinéma pour « vaincre les inégalités » et parvenir à la parité. Signée notamment par Juliette Binoche, Charles ­Berling, Coline Serreau, Isabelle Carré, Antoine de Caunes, Agnès Jaoui, Jacques Weber, ce texte ­rappelle que dans le cinéma et l’audiovisuel, « comme dans bien des domaines d’activité, les femmes restent discriminées : moins d’un long-métrage sur ­quatre agréé par le Centre national du ­cinéma (CNC) est réalisé par une femme. Aucune exposition à la Cinémathèque française n’a été consacrée à une cinéaste. En soixante et onze ans de Festival de Cannes : une demi-Palme d’or a été décernée à Jane Campion en 1993, partagée avec Chen Kaige. Sans parler des inégalités salariales ».

Pour la cinéaste Charlotte Silvera, membre du collectif SexismesurEcrans à l’initiative de cette tribune, « les positions de la ministre de la culture en faveur de l’égalité hommes-femmes sont une ­occasion historique ».

Que ce soit sur la question des violences ou sur celle de la parité, Françoise Nyssen a clairement pris position. Mercredi 7 février, elle tenait un discours très volontariste lors du comité ministériel pour l’égalité entre les hommes et les femmes, se donnant quatre ans pour tendre vers la parité dans le monde de la culture et ­assumant « le recours aux quotas de progression et aux objectifs chiffrés ». Lundi 26 février, lors du dîner des producteurs organisé par l’Académie des Césars, elle considérait que ces derniers avaient la « responsabilité » de « combattre avec la plus grande force les stéréotypes, les discri­minations, le harcèlement » et de« n’avoir aucune tolérance, aucune complaisance pour les actes qui s’en rapprochent quel qu’en soit l’auteur ».

Peu de mesures concrètes

Certaines personnalités – notamment les réalisatrices Julie ­Bertucelli et Lola Doillon, les comédiennes Anna Mouglalis et Alice Pol – ont signé les deux tribunes. Mais la question des quotas ne fait pas l’unanimité au sein des organisations professionnelles, syndicales et associatives de la culture. Si Pascal Rogard, directeur général de la SACD, a salué « l’ampleur de l’engagement de la ministre » en estimant que « jamais on n’aura été aussi loin dans la mise en place d’outils, de dispositions et même de sanctions à l’égard de ceux qui traîneraient les pieds pour accorder aux femmes leur juste place », peu d’autres se sont manifestés en faveur de quotas.

« Il faut d’abord débattre, ­discuter en profondeur avant de donner des solutions toutes faites. Les quotas n’arriveront pas de ­sitôt en France », considère Bérénice Vincent, exportatrice de films et porte-parole du nouveau collectif 5050 pour 2020 lancé par l’association Le Deuxième Regard dont elle est l’une des fondatrices. « Cela fait cinq ans qu’on est sur le sujet », rappelle-t-elle.

En 2013, une Charte pour l’égalité entre les femmes et les hommes dans le cinéma était signée par Aurélie ­Filippetti (alors ministre de la ­culture), Najat Vallaud-Belkacem (alors ministre des droits des femmes), Frédérique Bredin ­ (présidente du CNC) et Véronique Cayla (présidente d’Arte). Mais elle avait été suivie de peu de mesures concrètes.