Silvio Berlusconi, chef de file de Forza Italia, et Matteo Salvini, dirigeant de la Ligue du Nord, à Rome, le 1er mars 2018. / ALESSANDRO BIANCHI / REUTERS

C’était il y a à peine un peu plus d’un an, autant dire un siècle. Le 4 décembre 2016, les électeurs ont massivement rejeté une réforme constitutionnelle portée par Matteo Renzi, qui ambitionnait de modifier en profondeur le fonctionnement de la démocratie italienne. Un des objectifs affichés de cet ambitieux dispositif (nouvelle Constitution, nouveau mode de scrutin) était de parvenir à des résultats électoraux clairs, dégageant des majorités solides.

Le soir de l’élection, affirmait alors le premier ministre italien, les électeurs sauront qui sera leur prochain premier ministre. Mais les Italiens en ont décidé autrement. Dimanche 4 mars, près de 50 millions d’électeurs sont appelés aux urnes, dans un brouillard si épais qu’on n’est même pas certain de savoir, à la veille du scrutin, qui est vraiment candidat pour le poste.

Jeudi soir, à moins de trois jours de l’ouverture des bureaux de vote, le chef de file de Forza Italia, Silvio Berlusconi – qui est inéligible –, a tout de même levé un coin du voile en assurant que l’actuel président du Parlement européen, Antonio Tajani, serait son candidat. L’information est tout sauf une surprise, mais elle aura à peine contribué à clarifier les choses, tant sont nombreuses les inconnues entourant le scrutin.

La première d’entre elles porte sur le fait de savoir s’il y aura un vainqueur dimanche soir. Annoncée comme la première force politique du pays depuis plusieurs mois, avec des scores variant peu, de 35 % à 38 % des voix, la coalition de droite, constituée, comme à chaque élection victorieuse depuis un quart de siècle, de Forza Italia, le parti de Silvio Berlusconi, de la Ligue du Nord de Matteo Salvini, des postfascistes de Fratelli d’Italia, dirigés par Giorgia Meloni, et de centristes réunis autour de Raffaele Fitto, se voit attribuer un nombre assez variable de sièges par les instituts de sondage.

Infinies tergiversations

Ces derniers peinent à tirer les conséquences du « Rosatellum », un mode de scrutin particulièrement complexe, savant mélange de scrutin uninominal et de proportionnelle intégrale, adopté en octobre 2017 après des années d’incertitudes. Aucun d’entre eux n’attribue de majorité absolue à la coalition, mais le nombre de sièges manquants varie, pour prendre l’exemple de la Chambre des députés, d’une dizaine – ce qui serait largement surmontable – à une cinquantaine – ce qui le serait beaucoup moins.

Jeudi après-midi, au Théâtre d’Hadrien, à Rome, les dirigeants des quatre composantes de l’alliance, qui n’étaient jamais apparus ensemble durant la campagne, se sont rassemblés après d’infinies tergiversations, pour une photo de groupe qui masquera difficilement l’ampleur des désaccords régnant entre eux.

« Nous espérons arriver à atteindre la majorité, que ce soit à la Chambre ou au Sénat, pour former le gouvernement solide dont le pays a besoin », a déclaré Silvio Berlusconi, avant d’assurer que « du moment que nous serons majoritaires, nous vous garantirons que notre loyauté sera absolue ». Façon d’admettre que, sans perspective de majorité, chaque composante de la coalition reprendra instantanément sa liberté.

Mais même dans le cas – improbable – d’une majorité absolue dans les deux Chambres, la situation est-elle si claire ? Lorsque le très extrémiste dirigeant de la Ligue du Nord, Matteo Salvini, a pris la parole, cela a été pour asséner : « J’ai hâte que vous nous envoyiez au pouvoir pour abolir la loi Fornero. »

Ses partenaires, attablés à ses côtés, ont laissé dire, mais leur embarras était palpable : en effet, cette réforme particulièrement douloureuse du système de retraites, adoptée dans l’urgence, sous la contrainte des marchés en décembre 2011, ils l’avaient tous trois adoptée. Et chacun sait qu’un retour en arrière en la matière aurait des conséquences désastreuses sur les comptes publics, provoquant instantanément une nouvelle tempête financière pour l’Italie.

A gauche, la principale inconnue est l’ampleur de la défaite annoncée du Parti démocrate de Matteo Renzi

La question des retraites n’est qu’un des nombreux points de désaccord existant entre les composantes de la coalition, qui ne sont au fond d’accord que sur leur volonté de lutter contre l’immigration et ont signé, fin janvier, un programme commun particulièrement vague, dans lequel aucune des mesures envisagées n’était chiffrée. Par exemple, la « flat tax », mesure-clé du programme fiscal de la droite, dont la mise en place coûterait au bas mot 100 milliards d’euros aux finances publiques italiennes, sera établie à 23 % selon Forza Italia, mais à 15 % seulement pour la Ligue du Nord.

Mais le principal point d’achoppement concerne l’identité de la personne appelée à diriger l’ensemble. En effet, si Silvio Berlusconi considère comme allant de soi que son parti est la puissance dominante, comme il en a toujours été depuis 1994, le rapport de force a considérablement évolué, au profit de la Ligue du Nord, portée par une incontestable dynamique électorale.

Ainsi la Ligue et Forza Italia ont-ils convenu que la direction d’un éventuel gouvernement reviendrait à un candidat issu de la formation arrivée en tête parmi les membres de l’alliance, et Matteo Salvini n’a pas perdu espoir, même si les sondages lui donnent un léger retard, de coiffer au poteau le parti de Silvio Berlusconi. Une perspective qui enverrait un message terrible à Bruxelles, alors que l’Union est déjà très inquiète à l’idée de voir entrer au gouvernement un parti très europhobe, allié au Front national au Parlement européen.

A gauche, la principale inconnue est l’ampleur de la défaite annoncée du Parti démocrate (PD), qui n’a cessé depuis des mois, de baisser dans les sondages. Incapable de tirer profit de la reprise économique et de l’amélioration des comptes publics, qui auraient pu être portés à son crédit, le parti pâtit, en outre, de l’usure du pouvoir et du discrédit personnel de son dirigeant, Matteo Renzi, à tel point qu’il n’arrive pas à bénéficier de la présence en ses rangs de la figure la plus populaire du paysage politique italien, le premier ministre sortant, Paolo Gentiloni.

Barrer la route au Mouvement 5 étoiles

S’il n’a pas perdu espoir de rester aux affaires, par le biais d’une large coalition avec la droite modérée, voire d’un gouvernement d’union nationale, dans le cas d’une absence de majorité claire dimanche soir, le PD aura réussi à mettre en branle une improbable machine à perdre, élaborant une loi électorale taillée sur mesure pour la droite, sans parvenir à empêcher le développement sur sa gauche des listes Libres et égaux, dirigées par le président du Sénat, Pietro Grasso, qui lui ont ôté tout espoir de bien figurer dans la course aux sièges désignés au scrutin majoritaire.

Conçu avant tout pour barrer la route au Mouvement 5 étoiles, qui devrait être de loin, dimanche soir, le premier parti du pays, le « Rosatellum » tiendra sans doute, au moins sur ce point, ses promesses. Il n’en reste pas moins que le niveau atteint par ce mouvement protestataire, engagé, sous la direction du très jeune Luigi Di Maio (31 ans), dans un incontestable processus de normalisation, est une des inconnues majeures du scrutin. En viendrait-il à frôler les 30 %, comme certains sondages le laissaient penser, qu’il serait difficile de ne pas en tenir compte.

La dernière incertitude, qui n’est pas la moindre, concerne l’attitude du président de la République, Sergio Mattarella, au soir de l’élection. Placé de par sa fonction au-dessus des partis, c’est à lui que reviendra, après consultations, de confier à celui qui en semblera le plus capable la charge de former un gouvernement. Lorsque seront dissipées les brumes entourant le scrutin de dimanche, lui seul aura toutes les cartes en main.