Atteindre un bon niveau d’études, trouver sa voie, dénicher l’information, Aliénor Guiot s’en inquiétait : pas facile de se renseigner quand on vit en milieu rural. Aujourd’hui, elle est étudiante à Paris-IX Dauphine où, après un cursus de gestion, elle suit un master de sociologie centré sur la responsabilité sociale des entreprises. « Habitant à Saint-Grégoire, un bourg de l’Ille-et-Vilaine, j’ai fini ma scolarité à Rennes sur de bons résultats au bac, raconte-t-elle. Mais après, quelle orientation choisir ? Je suis partie sur une licence d’économie-gestion à Rennes 1. Et, par hasard, j’ai trouvé des détails sur Paris-Dauphine que je ne connaissais pas. »

Admise à l’université parisienne en 2e année d’éco-gestion, la jeune femme met en avant des cours à taille raisonnable, des exigences reconnues par les entreprises et le séjour à l’étranger : elle a passé un an à Vienne dans le cadre d’Erasmus. En contrepartie, Dauphine, qui a le statut de grand établissement d’enseignement supérieur, demande aujourd’hui des droits d’inscription plus élevés. « Mais les étudiants y sont motivés, avec un bon esprit d’école », affirme Aliénor Guiot, pure Bretonne qui compte justement partager son expérience et en faire profiter les jeunes dans sa région natale.

« La présence de jeunes de milieux ruraux évite que tous les étudiants soient sur le même moule », affirme Bixente Etcheçaharreta, diplômé de Sciences Po Paris

« Personne dans ma famille n’avait fait d’études supérieures, souligne Bixente Etcheçaharreta. Lycéen à Saint-Jean-Pied-de-Port, j’ai eu mon bac avec mention mais ensuite, sans me faire d’illusion sur mes chances, je ne savais pas trop où aller. » Après une année de prépa à Bordeaux-Montaigne, le jeune Basque a finalement intégré Sciences Po Paris, dont il est sorti en 2015 armé d’un master de finances. « J’y ai trouvé un enrichissement très fort, notamment avec ce cours de finance internationale retransmis en direct depuis Washington », se souvient-il.

S’il travaille aujourd’hui dans une banque à Paris, Bixente Etcheçaharreta se réjouit d’avoir pu passer une de ses cinq années de formation à Istanbul, « sans réseau familial à l’appui ni piston, simplement parce que l’école permet cette expérience ». Car « entre l’amphi Boutmy et la péniche [deux lieux phares de l’école de la rue Saint-Guillaume], on trouve de quoi étancher sa soif de savoir, sourit Bixente. La présence de jeunes de milieux ruraux évite que tous les étudiants soient sur le même moule, argumente-t-il, et ce serait dommage de garder toutes ses compétences pour soi seul. » D’où son engagement dans le réseau « Des territoires aux grandes écoles », lancé le 16 septembre 2017 à Paris, dont il a été l’un des initiateurs.

Houssem Sahraoui, étudiant en master à Sciences Po Paris, vise une carrière sur le terrain, à « recoudre les villes, mais aussi les campagnes »

D’abord créée à Bayonne en 2013 sous l’intitulé « Du Pays basque aux grandes écoles », cette maison commune d’anciens étudiants « provinciaux » a essaimé dans cinq autres régions et départements de France : en Bretagne, en Moselle, en Anjou, en Auvergne et dans l’Allier. « Aujourd’hui, explique Bixente Etcheçaharreta, nous partageons le même constat : les jeunes ruraux sont mal informés sur les filières à leur portée, ils se sous-estiment, et leurs parents partagent cette autocensure ! Tous pensent qu’ils n’auront pas leur place dans les grandes écoles alors qu’ils obtiennent d’excellents résultats au bac. »

Comme Bixente Etcheçaharreta, Houssem Sahraoui ne cache pas qu’il y a des codes à apprivoiser (langage, habillement), voire « un choc culturel et sociologique » à encaisser lorsqu’on arrive à Paris. Ce jeune Mosellan vise une carrière sur le terrain, à « recoudre les villes, mais aussi les campagnes ».

Natif de Florange, il a bénéficié en 2011 d’une convention d’éducation prioritaire dans un lycée classé en ZEP. Son master 1 en cours à Sciences Po Paris est centré sur la stratégie territoriale et urbaine. Il entend logiquement « passer aux travaux pratiques en Lorraine », avec une conviction : si les initiatives en faveur de l’égalité des chances se concentrent dans les zones urbaines, elles sont tout autant nécessaires dans les zones rurales.

Un système de bourses

Ce parcours est aussi celui de Julien Bourgier, venu de Périgneux, un village près de Saint-Etienne. Ses parents ne sont ni cadres ni enseignants. Parti de la Loire, il a d’abord cherché sa voie en licence à Lyon 2, puis en master, avant d’être admis à l’Ecole des hautes études en sciences sociales, un grand établissement parisien qui devrait le mener à la recherche. Même itinéraire pour Joé Mendes, qui a d’abord étrenné une licence en droit à la faculté de Bayonne : « Une fac petite mais humaine, où les profs vous écoutent. Et, plutôt que d’aller à Bordeaux comme d’autres, j’ai dit pourquoi pas la Sorbonne pour y passer une maîtrise de droit public ? Je l’approfondis à présent à Paris-Saclay dans le but de devenir avocat d’affaires. »

Au menu des six associations « Des territoires aux grandes écoles », des interventions dans les lycées, une plate-forme Internet, mais aussi un système de bourses. « Appuyé sur un jury de sponsors et d’enseignants, il sera mis en route en décembre avec des entreprises sur la base de 6 000 euros pour deux ans », annonce Joé Mendes. Seront évalués le projet du candidat et sa volonté de créer une entreprise, encore mieux s’il s’agit de « vitaminer » son territoire d’origine. A Bayonne, plusieurs entreprises sont sur les rangs pour y participer, dont le Crédit agricole, la banque Michel Inchauspé ou encore la fromagerie Agour.

« Le Monde » aide les jeunes à s’orienter vers les études supérieures

Pour aider les 16-25 ans, leurs familles et les enseignants à se formuler les bonnes questions au moment d’effectuer les voeux d’orientation, Le Monde organise les conférences O21/s’orienter au 21e siècle, à Nantes (16 et 17 février 2018), Bordeaux (2 et 3 mars 2018) et Paris (17 et 18 mars 2018), après Nancy (1er et 2 décembre) et Lille (19 et 20 janvier).

A consulter également, notre rubrique Le Monde Campus, et tout particulièrement ses sous-rubriques O21, Etudes supérieures et Parcoursup APB.