Gianni Infantino, président de la FIFA, plaidait depuis son élection en faveur de l’inscription de l’arbitrage vidéo dans les lois du jeu. / ARND WIEGMANN / REUTERS

Le football peut s’appuyer sur quelques bases solides : il n’explosera pas de voir un nouvel élément inscrit dans ses règles, aussi instable soit-il. Mais le vote unanime de l’International Football Association Board (IFAB) en faveur de l’assistance vidéo à l’arbitrage (Video Assistance Referee, VAR) interroge sur le sens des responsabilités de ceux qui le composent : la FIFA – quatre voix sur huit – et les Fédérations d’Angleterre, du Pays de Galles, d’Ecosse et d’Irlande du Nord, à qui revient le droit de changer le football, pour l’avoir codifié.

Au moment d’expliquer leur décision, samedi 3 mars à Zurich, Gianni Infantino et les représentants du football britannique n’ont pas manqué de souligner sa portée « historique » et « considérable ». Dès lors, pourquoi tant de précipitation ?

Le premier match de football a été télévisé il y a 68 ans. Les ralentis ont fait leur apparition il y a un demi-siècle et se sont généralisés, sous tous les angles, dans les années 1990. Dans ce temps long, les deux ans d’expérimentation de l’arbitrage assisté par vidéo, qui ont posé autant de questions qu’ils ont apporté de solutions, sont un claquement de doigts. Soudainement, voilà la VAR à la Coupe du monde : ce sera officiel le 16 mars après le vote du conseil de la FIFA.

« Je suis très heureux si nous sommes critiqués pour aller à la bonne vitesse »

La VAR n’a jusqu’ici été testée, dans une grande compétition, qu’à la Coupe des confédérations. L’essai ne fut concluant qu’aux yeux de Gianni Infantino. De mauvaises décisions furent corrigées grâce au recours à la VAR et, dans l’ensemble, il est juste de dire que le tournoi fut un peu plus équitable que sans l’assistance vidéo.

Mais les conséquences sur le déroulement du match sont apparues au grand jour : perte de spontanéité dans la célébration d’un but et dans la décision de l’arbitre, incompréhension des spectateurs dans le stade, temps morts plus fréquents. Les polémiques arbitrales changèrent de nature : désormais, les polémiques portaient sur le fait de savoir si, sur telle ou telle action, il n’aurait pas fallu recourir à la vidéo.

Sepp Blatter, le prédécesseur de Gianni Infantino à la tête de la FIFA, ne perd pas une occasion de dénoncer les actions de son successeur. Mais il connaît un peu le fonctionnement d’une Coupe du monde et parle en connaissance de cause lorsqu’il déclare : « On ne peut pas expérimenter un tel changement des lois lors de la plus prestigieuse compétition mondiale. On a tellement d’autres championnats du monde (moins de 17 ans, U20, futsal) pour le faire. »

Interrogé samedi sur la célérité de la mise en application de cette nouvelle loi du jeu, Gianni Infantino a répondu : « J’entends depuis des années que la FIFA est lente, que l’IFAB est lente à prendre des décisions, à amener le sport là où les gens veulent qu’il soit. Je suis très heureux aujourd’hui si nous sommes critiqués pour aller à la bonne vitesse, si j’ose dire. »

Il endosse ainsi le costume confortable de celui qui agit en dépit des conservatismes, une posture davantage en cours dans la classe politique, ce qui confirme que le président de la FIFA est un homme de pouvoir avant que d’être un homme de football.

L’Italo-Suisse avait fait de l’adoption de la VAR l’une des pierres angulaires de son programme depuis son élection, en février 2016. Samedi, il a feint avoir été, un temps, « extrêmement sceptique » sur le sujet puis convaincu par les résultats sur le terrain.

L’application encore en débat

Les arbitres de la prochaine Coupe du monde, ici un trio d’arbitres brésilien lors de la Copa Libertadores 2017, seront tous prêts à utiliser la VAR, a assuré la FIFA. / JUAN MABROMATA / AFP

A l’UEFA, dont le président slovène, Aleksander Ceferin, fait désormais figure de chef de file des sceptiques, comme son prédécesseur Michel Platini, on considère que Gianni Infantino a pour seul objectif de « faire passer ses réformes » à marche forcée, en dépit des « nombreux couacs » observés depuis deux ans. Ce vote permet au moins de faire oublier les controverses éthiques qui ont jalonné ses deux premières années à la tête du football mondial.

« Personne ne sait encore exactement comment ça marche. Il y a encore beaucoup de confusion », constate Aleksander Ceferin. En Italie, en Allemagne, au Portugal ou en Angleterre pour les quelques matches où la VAR a été utilisée, les polémiques n’ont pas cessé. Dans chaque pays où elle est mise en œuvre, personne ne conteste qu’elle puisse apporter un football plus juste ; mais chacun débat des améliorations à mettre en œuvre.

A quelle fréquence l’utiliser ? Comment faire pour que les arbitres centraux gardent confiance dans leurs décisions, notamment dans une compétition extrêmement médiatisée ? Quel degré de transparence dans la prise de décision ? Comment la communiquer au public ? Comment ne pas tuer l’émotion primaire qui suit le but ? Comment réduire les temps morts que la VAR induit, sans nuire à la qualité de la décision arbitrale ?

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Les solutions à ces questions, si toutefois elles existent, n’auront pas été éprouvées avant que l’arbitrage vidéo ne fasse son apparition sur la plus grande compétition. « En 2018, on ne peut pas se permettre qu’une Coupe du monde se décide sur l’erreur potentielle d’un arbitre », a plaidé Gianni Infantino. Un argument qui aurait pu être utilisé depuis deux décennies, puisque les solutions techniques existaient déjà à la fin du siècle dernier.

Universalité du football

Quant aux inquiétudes sur le niveau de préparation des arbitres, notamment ceux dont l’expérience en compétition avec la VAR sera très faible – la majorité d’entre eux –, la FIFA a assuré qu’ils seraient prêts. Interrogé sur un nombre de matches minimal qu’un arbitre devrait avoir dirigés avec VAR avant la Coupe du monde, ou sur les craintes que les maîtres du jeu les moins expérimentés se laissent vampiriser par l’arbitrage vidéo, Gianni Infantino s’en est tiré d’une pirouette : « Vous voyez l’homme au fond de la salle ? C’est Pierluigi Collina [ancien arbitre international et président de la commission des arbitres de la FIFA] : il est la garantie que tout se passera bien. C’est un énorme bosseur.  »

Un journaliste mauritanien s’est aussi inquiété de la création d’un football à deux vitesses, entre les pays où l’on jouerait au football avec et sans assistance vidéo. « Les fédérations qui auront les moyens l’introduiront et les fédérations les moins riches ne le feront pas. Cela va nuire à l’universalité du football », s’est-il alarmé. Gianni Infantino a tenté de rassurer, affirmant qu’il serait « possible de la mettre en pratique partout dans le monde » et que tous les moyens seraient mis en œuvre pour cela.

Samedi, rien ne pouvait doucher l’enthousiasme du patron de la FIFA ayant tranché, après des décennies d’hésitation, le débat de l’arbitrage vidéo. Pas même la perspective que la Premier League, le championnat le plus riche et le plus suivi du monde, refuse, le mois prochain, d’appliquer cette réforme dans l’immédiat.