Minuscule pièce dans le puzzle industriel du géant Ford, l’usine de Blanquefort, dans la grande banlieue de Bordeaux, pourrait bien se transformer en caillou dans la chaussure du cinquième groupe automobile mondial. Le ministre de l’économie, Bruno Le Maire, a reçu, vendredi 2 mars, une délégation d’élus et de syndicalistes girondins.

M. Le Maire a annoncé, à l’issue de la rencontre, la mise en place d’un « groupe de travail restreint », en relation directe « avec les représentants de Ford », dans le but de « maintenir l’activité » à Blanquefort.

Une boîte de vitesses en fin de vie

Car il y a péril pour l’avenir du site de production de boîtes de vitesses automatiques et seule usine française du constructeur américain. L’actuelle boîte à six vitesses qui y est fabriquée arrive en fin de vie, et Ford a annoncé, mardi 27 février, que la production en Aquitaine d’une nouvelle transmission à 8 vitesses « n’était pas économiquement viable ». La nouvelle boîte en question continuera donc d’être produite uniquement à Van Dyke (Michigan), au nord de Detroit.

L’annonce a constitué un choc pour les salariés et les élus qui pensaient que Ford prendrait la décision de pérenniser l’avenir du site avec ce nouveau produit. L’espoir était d’autant plus grand que la direction de Ford Europe avait, dans un premier temps, conclu à la faisabilité technique du transfert sur la base d’un travail précis et complet du bureau d’étude de l’usine.

Cette mauvaise nouvelle vient s’ajouter à une inquiétude à plus court terme : le protocole, qui garantissait la pérennité des 950 emplois du site, arrive à échéance en mai. Et même si Ford assure que les volumes permettent un maintien des effectifs jusqu’en 2019, beaucoup en doutent. La délégation aquitaine a demandé au ministre que l’on puisse s’assurer que l’usine tournera à son rythme actuel au moins jusqu’en 2020.

Colère contre les « mensonges »

C’est donc d’abord la colère qui s’est exprimée après la rencontre, élus (qui ont versé 12,5 millions d’euros pour relancer le site) et syndicalistes fustigeant les « mensonges » d’une direction qui a « baladé » les salariés. « Nous sommes tous déterminés à mettre Ford devant ses responsabilités », a déclaré Alain Juppé, maire de Bordeaux et président de la métropole aquitaine.

Une supplique qui a été entendue par Bruno Le Maire : « Ford doit comprendre que la détermination de l’Etat, des élus locaux, des salariés à maintenir l’activité sur ce beau site de Blanquefort est totale », a déclaré le ministre.

De casse-tête industriel, l’affaire Blanquefort prend désormais une dimension politique. L’envergure nationale du maire de la ville-métropole mais aussi la présence d’un certain Philippe Poutou – candidat du NPA à la dernière élection présidentielle – parmi les délégués CGT de l’usine y sont pour beaucoup.

A vrai dire, les soubresauts politiques sont inscrits dans les « gènes » de l’usine de Blanquefort. Porté sur les fonts baptismaux par Jacques Chaban-Delmas en 1973, qui est parvenu à arracher à Ford la décision d’implanter cette usine, le site produira jusqu’à 800 000 boîtes de vitesses par an. Mais la boîte automatique ne perce pas en Europe et l’usine périclite, jusqu’à ce que Ford décide – déjà – de jeter l’éponge en 2009.

La solution d’un repreneur hérisse les syndicats

Un repreneur est trouvé, la holding HZ. Mais son projet industriel aventureux – fabriquer des pales pour éoliennes – va se révéler désastreux. Sous intense pression du gouvernement de l’époque et de la ministre de l’économie, Christine Lagarde, Ford accepte de réinvestir près de 200 millions d’euros dans l’usine pour y produire entre 2013 et 2018 la boîte à six vitesses 6F35, qui arrive donc au bout de son ­cycle de vie.

Que va-t-il se passer maintenant ? Le ministre a indiqué qu’il rencontrera en personne le directeur Europe de Ford, Steven Armstrong. « Ford ne continuera pas, glisse un bon connaisseur du dossier. La solution d’un repreneur paraît plus réaliste. » L’idée hérisse les syndicats. « Nous n’accepterons pas un repreneur bidon. Ford doit rester, déclare M. Poutou. Les propos du ministre, des élus, nous donnent un point d’appui pour mener la lutte. Mais cette lutte, c’est à nous, les salariés et les habitants, de la mener. » La bataille de Blanquefort ne fait que commencer.