La cour d’appel de Versailles a annulé le licenciement pour faute grave d’un salarié sous-traitant du Technocentre Renault à Guyancourt (Yvelines) qui avait invité par mail les syndicats à diffuser le documentaire satirique Merci patron ! et relaté dans la presse une remontrance de son patron à propos de l’envoi de ce courriel. La cour estime que le licenciement porte « atteinte à la liberté d’expression ». Elle condamne l’employeur, Eurodecision, à payer 45 000 euros à son ancien salarié ainsi que 3 000 euros aux syndicats SUD et CGT, qui l’avaient soutenu, pour « atteinte à la liberté syndicale », selon l’arrêt rendu le 28 février. « C’est une consécration pour la liberté d’expression », a réagi Marie-Laure Dufresne-Castets, l’avocate de l’ancien salarié.

Le 15 mars 2016, dans un mail envoyé de chez lui aux organisations syndicales, ce prestataire avait invité à une mobilisation contre la loi travail et proposé d’organiser la projection du film Merci patron ! du journaliste François Ruffin (aujourd’hui député La France insoumise).

Aussitôt alerté par Renault qui reprochait au salarié du sous-traitant d’avoir diffusé à des salariés du Technocentre un « message électronique à caractère politique », le PDG d’Eurodecision le convoquait pour un entretien informel. Selon le salarié, Il lui avait alors indiqué qu’il « avait fait une grosse bêtise » en contactant les organisations syndicales, que Renault « surveillait les mails de ses syndicats » et qu’« en tant que prestataire extérieur, il ne devait pas s’adresser » à eux. Un avertissement lui avait été infligé quelques jours plus tard.

« Un contexte d’angoisse »

Le salarié, qui avait enregistré l’entretien car, a-t-il expliqué, il n’était pas en capacité de prendre des notes compte tenu de son inquiétude, avait ensuite transmis des extraits au journal alternatif fondé par M. Ruffin, Fakir, et pour lequel il était bénévole. L’histoire de cette vidéo, qui ne comportait aucun nom ni aucun visage, avait été relayée dans la presse.
Dans un second temps, le 21 avril 2016, il avait été licencié pour faute grave, son employeur estimant qu’il avait violé son « obligation de loyauté et de bonne foi » en enregistrant la discussion et en diffusant les extraits. Certes, admet la cour dans l’arrêt, mais « ces agissements sont intervenus dans un contexte d’angoisse liée à la crainte d’être injustement licencié, crainte qui s’est avérée fondée ».

Pour la cour, ni la mise à pied du salarié, ni son licenciement n’étaient fondés, et l’ancien salarié est « recevable à invoquer le statut de lanceur d’alerte ». En outre, souligne-t-on de même source, Renault comme Eurodecision, « ont participé à la réalisation de leur propre préjudice en ne respectant pas une liberté fondamentale ».

A l’inverse, pour Charlotte Moreau, qui défendait Eurodecision, « c’est un arrêt critiquable, notamment sur le fait que l’on reconnaît à l’ancien salarié la qualité de lanceur d’alerte. Les conditions ne sont pas remplies. Mon client est surpris. Il va peut-être se pourvoir en cassation. Nous y réfléchissons. »

Le syndicat SUD a, quant à lui, salué « le combat de ce collègue prestataire » et invité « les milliers de prestataires du Technocentre à faire de même à chaque fois que leur employeur ou la direction de Renault bafouent leur liberté d’expression et leurs droits syndicaux, ou qu’ils déplorent de mauvaises conditions de travail. »