En moins de dix ans, elle est devenue la première formation politique d’Italie. Le Mouvement 5 étoiles (M5S) a obtenu, dimanche 4 mars, plus de 31 % des suffrages aux législatives, déclenchant un séisme politique dans le pays. Mais quel est ce « non-parti » campant sur une ligne « ni droite ni gauche » qui le rend quasiment inclassable selon les canons de la science politique ?

  • Un parti jeune

Crée en 2009, le M5S est né de l’alliance d’un célèbre humoriste, Beppe Grillo, et d’un informaticien inconnu, Gianroberto Casaleggio, mort en 2016. Le parti découle d’un mouvement social anti-élite et anti-corruption agrégé depuis 2005 autour du blog très populaire de l’humoriste. Le point d’orgue de ce mouvement sera le V-Day (V pour vaffanculo, « va te faire foutre »), les 8 et 9 septembre 2007, avec des rassemblements organisés dans toute l’Italie au cours desquels plus de 300 000 signatures sont recueillies en faveur d’une initiative appelée « Parlamento pulito » (« Parlement propre »), qui voulait interdire l’entrée au Parlement des personnes condamnées par la justice et limiter à deux mandats successifs les carrières parlementaires.

Ce blog avait été créé avec Gianroberto Casaleggio, que l’humoriste avait rencontré en 2004. Très discret, Casaleggio a ensuite été le « cerveau » politique du M5S jusqu’à sa mort. Internet et les réseaux sociaux ont toujours gardé un rôle central dans le fonctionnement du parti, qui n’a pas de siège et fait voter ses militants sur toutes ses propositions. Dans la foulée du succès du V-Day, le 4 octobre 2009, jour de la Saint-François d’Assise – un symbole très fort en Italie – naît le Mouvement 5 étoiles.

  • Un programme attrape-tout et changeant

A l’origine, le M5S a pris ce nom pour énoncer cinq priorités : retour au public de la gestion de l’eau, zéro déchets, transports publics, énergies renouvelables et wifi gratuit. Le 5, écrit en chiffre romain (V), fait aussi référence au vaffanculo fondateur.

Son inspiration initiale se trouve plutôt à gauche, dans la lutte contre les politiques d’austérité appliquées dans le pays à la suite de la crise de la dette dans la zone euro. Mais au Parlement européen, le parti s’est allié en 2014 avec le parti d’extrême droite britannique UKIP… A l’époque, le M5S prônait également un référendum sur la sortie de l’euro, mais il a fini par abandonner l’idée ces derniers mois lors de la campagne pour les législatives.

Même flou sur l’immigration : Beppe Grillo a plusieurs fois fait des déclarations contre le droit du sol ou pour le durcissement des règles d’asile, mais la base du parti n’a pas toujours suivi. « C’est ce que les Anglo-Saxons appelleraient un marketing-oriented party”. Un mouvement attrape-tout, qui s’encombre peu de contradictions », estime le professeur de sciences politiques Massimiliano Panarari, coauteur, avec Marco Laudonio, d’un « dictionnaire critique » consacré au mouvement (Alfabeto Grillo, éd. Mimesis, 2014, non traduit). Allié à son organisation horizontale, ce flou programmatique explique pourquoi M5S est parfois qualifié de « populiste » ou « d’anti-système ».

  • Une progression constante

Depuis sa création, le M5S affiche des résultats électoraux de plus en plus encourageants. Il remporte ses cinq premières mairies en 2012 et entre en force au Parlement en 2013. Avec 25 % des voix, il envoie 109 militants totalement inexpérimentés à la Chambre des députés, et 54 au Sénat. Leur arrivée, marquée par de nombreux coups d’éclat, bouleversera le fonctionnement d’un Parlement endormi dans ses habitudes. En 2014, le parti arrive en deuxième position aux élections européennes. Et fin juin 2016, il gagne les élections municipales dans deux des plus grandes villes du pays, Rome et Turin.

Avec plus de 31 % des voix obtenus dimanche, selon les dernières estimations, le M5S devrait obtenir environ 226 députés et 112 sénateurs dans la prochaine mandature. Le parti est en position de force pour la formation du gouvernement. Longtemps hostile à toute alliance avec les partis traditionnels, le M5S a brusquement changé d’avis ces dernières semaines, sous l’influence de l’actuel dirigeant du mouvement, Luigi Di Maio (31 ans), qui incarne une aile plus modérée et réaliste.

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  • Des résultats mitigés

Si le mouvement promet de bouleverser les pratiques politiques, ses résultats sur le terrain sont plutôt mitigés. A l’image de la maire de Rome, Virginia Raggi, qui enchaîne les scandales depuis son élection. La gestion des déchets et des transports publics reste catastrophique dans la capitale.

Autre symbole des difficultés du parti : les départs ou les expulsions incessantes de cadres du parti, parfois mis au ban sur simple critique de Beppe Grillo. A la fin de la dernière législature, le M5S ne comptait ainsi plus que 88 députés (contre 109 au départ) et 35 sénateurs (contre 54). Bien qu’officiellement parfaitement transparent, le fonctionnement interne du parti et de son site Internet (baptisé « Rousseau ») est en réalité très opaque.