Un habitant de la ville d’Hamouria, dans la Ghouta orientale, lundi 5 mars. / ABDULMONAM EASSA / AFP

Au moins 800 civils ont été tués dans la Ghouta orientale, aux portes de Damas, depuis le 18 février, selon un nouveau bilan dressé par l’Observatoire syrien des droits de l’homme. Aux raids aériens se sont ajoutés, depuis plus d’une semaine, des combats au sol entre l’armée syrienne et ses alliés d’une part, et les rebelles anti-Assad de l’autre.

C’est dans ce contexte de violence extrême qu’un rare convoi humanitaire des Nations unies et du Comité international de la Croix-Rouge a été autorisé, lundi 5 mars, à entrer à Douma, la « capitale » de la Ghouta orientale. Selon le bureau humanitaire de l’ONU, les autorités syriennes ont imposé de nombreuses restrictions sur le matériel médical acheminé. L’agence condamne le « mépris des parties armées envers les garanties de sécurité pour le convoi », contraint de quitter les lieux avant d’avoir achevé son travail. Pawel Krzysiek, l’un des porte-parole du CICR en Syrie, était sur place.

Dans quelles conditions s’est déroulée votre arrivée à Douma lundi ?

Franchement, c’était loin d’être calme. On pouvait entendre les frappes aériennes, des tirs d’artillerie, le bruit des combats. Il y avait des moments où ça tapait assez près de nous. Il y avait beaucoup de tension. Dans la ville de Douma, où ont été déchargés les camions, on a pu rencontrer des habitants et des membres du conseil local [autorités civiles locales]. Il y avait bien moins de gens dans les rues que lors de notre précédente visite [fin 2017]. Avec tout ce que les habitants endurent depuis deux semaines, ils ont peur de sortir dehors. De nombreuses femmes sont tout de même venues pour recevoir des soins ou faire soigner leurs enfants à la clinique mobile montée par le Croissant-Rouge arabe syrien.

Que vous ont dit les habitants que vous avez rencontrés ?

Ils nous ont raconté comment, depuis deux semaines, ils vivent sous terre, dans des abris. Ils sont traumatisés par l’intensité des opérations militaires. Les gens sont épuisés, on le voit dans leurs yeux, dans les esprits. Ils sont en colère aussi. Il y a beaucoup d’émotion, d’incompréhension : pourquoi ça se passe contre eux ? Pourquoi leurs enfants doivent vivre de telles horreurs ? Ils sont fatigués. Ce qu’ils demandent, c’est la paix, la possibilité de pouvoir sortir, de mener une vie normale. Après toutes ces années, il y a un très fort sentiment de désespoir. Les gens disent très ouvertement qu’ils ne savent plus ce qu’ils doivent faire. Ils sont un peu les prisonniers de cette situation.

Quelle est la situation humanitaire ?

Il n’y a pas beaucoup de nourriture, et les prix ont doublé depuis deux semaines. Depuis notre dernière visite, les destructions sont beaucoup plus importantes. Tout manque. Près de 88 % des déplacés internes [qui ont fui récemment les lignes de front] ont gagné Douma. C’est la première fois que les opérations militaires se déroulent partout dans la Ghouta orientale : il y a peu d’endroits où les gens peuvent trouver refuge. Douma, c’est une ville, c’est là où l’on peut trouver des abris souterrains, espérer obtenir une forme d’aide. A Madaya [une localité soumise à un dur siège avant d’être reprise par les forces prorégime], les gens nous ont toujours demandé : « Quand allez-vous revenir, qu’amènerez-vous ? » Dans la Ghouta, les gens ne demandent pas ça, ils disent « arrêtez le bombardement, les frappes aériennes ».

Vous évoquiez le fait que certains civils souhaitent sortir de la Ghouta orientale.

Nos interlocuteurs ont évoqué plusieurs options. Pour le moment, des mères, des femmes, demandent à partir, à cause de la situation sécuritaire. Cela ne veut pas dire que ces personnes veulent partir pour toujours. Elles veulent rester chez elles, mais pas dans cette situation, car franchement, il n’y a pas beaucoup d’espoir.

Mais il faut des garanties pour encadrer de tels départs, comme la présence d’acteurs neutres internationaux ?

Absolument. Le CICR est prêt à le faire, mais il faut un accord entre les parties pour améliorer la situation des civils.

Les frappes aériennes et les tirs d’artillerie n’ont pas cessé malgré votre présence. Vous avez même dû écourter votre mission. Pourquoi les garanties de sécurité pour le convoi n’ont-elles pas été respectées ?

Les tirs d’artillerie et les frappes avaient lieu partout [dans la Ghouta orientale]. On n’était pas ciblés. Mais on a entendu des frappes assez proches.

Pas ciblés, mais pas protégés non plus.

Oui, je ne me suis pas senti très protégé. Normalement, c’était assez clair qu’on était là. Dans ce type de situation, on ressent, de façon infime, l’intensité de ce que les gens vivent.

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