Un gadget, le passe culture ? Non, une « révolution », affirme Françoise Nyssen. Comme si elle voulait se convaincre que les doutes émis à son arrivée rue de Valois sur le bien-fondé de cette promesse présidentielle avaient totalement disparu, la ministre de la culture a cité à cinq reprises le mot « révolution », mardi 6 mars, devant le comité d’orientation du passe culture. Parce qu’il promet d’être le « premier réseau social culturel », construit « sur les méthodes des start-up » et s’adressant « directement aux citoyens », tout serait « révolutionnaire » dans ce futur dispositif à destination de la jeunesse.

Il ne s’agira « ni d’une carte ni d’un chèque-cadeau », a rappelé la ministre, mais « d’une application géolocalisée avec un catalogue, un agenda et un portefeuille associé qui permettra de connaître et d’accéder à toute l’offre culturelle à proximité ». Tout le monde pourra la télécharger sur son mobile, « mais les jeunes de 18 ans auront un droit spécifique : le passe sera monétisé à hauteur de 500 euros, ce sera un outil d’information mais aussi de paiement ». A l’instar du développement de l’éducation artistique et culturelle à l’école et du projet d’élargir les horaires et les missions des bibliothèques, ce passe ambitionne, martèle Françoise Nyssen, de « combattre les inégalités dans l’accès à la culture en cassant les barrières financières et sociales ».

Concerts, cinéma, cours de cuisine, BMX...

Réuni pour la première fois, le comité d’orientation du passe culture se veut une instance consultative « de débat, de réflexion et de concertation ». Regroupant une quarantaine d’artistes (dont la réalisatrice Houda Benyamina, le metteur en scène Thomas Jolly, le rappeur Abd Al Malik), de responsables d’établissements culturels (Paul Rondin, directeur délégué du Festival d’Avignon, Serges Lasvignes, président du Centre Pompidou, Richard Brunel, directeur de La Comédie de Valence), d’élus (la sénatrice UDI Catherine Morin-Desailly, le député LRM Bruno Studer), de représentants du monde éducatif, associatif, et d’acteurs du numérique, il sera chargé « d’éclairer » le ministère sur les (nombreuses) questions posées par la création de ce « GPS de la culture ».

Quels types d’offres pourront être disponibles sur le passe ? Quelles seront la durée d’utilisation des 500 euros et la date d’attribution ? Quelle place sera accordée aux plates-formes numériques (Apple, Amazon, Deezer, Netflix…) ? Tels sont les premiers « objets de débat » que Françoise Nyssen entend partager avec ce comité. Car, depuis mi-décembre, les ateliers de travail, animés par Sebastian Sachetti, chargé de développement au sein de la start-up d’Etat Pass culture, offrent leur lot de surprises. A chaque fois, quelques dizaines de lycéens référents, issus de tous horizons, sont réunis pour plancher sur ce qu’ils aimeraient trouver dans ce nouveau service.

« A travers ces laboratoires de fabrication, nous partons des attentes des futurs usagers pour coconstruire avec eux l’application sur le fond et sur la forme », explique Sebastian Sachetti. En assistant à deux de ces ateliers, nous avons pu constater que le terme culture recouvre, aux yeux des jeunes, de multiples secteurs qui renvoient à la large notion de loisirs. Aux places de concerts, avant-premières de cinéma, entrées dans les expositions ou stages de hip-hop viennent s’ajouter des envies de voyages, de séjours en Espagne, de cours de cuisine, de sorties au restau, de jeux vidéo, de séances de BMX, de compétitions de foot, de parcs d’attractions, d’abonnements à Spotify, etc.

Tout en affirmant qu’« il n’y a pas de “bonne” ou de “mauvaise” culture », la ministre constate qu’il y a « des choix à faire » dans le périmètre des offres proposées et que « trois secteurs posent aujourd’hui question : le jeu vidéo, les voyages culturels et linguistiques et la restauration ». Quant aux plates-formes numériques de musique ou de films, très prisées des jeunes, « dans quelle mesure voulons-nous que le passe facilite des pratiques déjà ancrées ou, à l’inverse, serve à les diversifier ? », s’interroge-t-elle. C’est la quadrature du cercle : comment « laisser le jeune autonome dans ses choix » et, en même temps, « éditorialiser » le passe culture afin d’inciter l’utilisateur à se tourner vers des offres culturelles qu’il connaît peu ou pas ? « Il ne s’agit pas seulement de consommation culturelle, mais aussi de pratiques et d’expériences », insiste la ministre.

Test dans quatre départements

En cours de développement, l’application sera testée au deuxième trimestre dans quatre départements – Seine-Saint-Denis, Hérault, Bas-Rhin, Guyane (où la ministre se rendra cette semaine) – avant d’être lancée en septembre puis généralisée. Mais pour mener à bien ce projet, il faut aussi convaincre les partenaires culturels d’y participer et, pour certains, de contribuer à son financement, le gouvernement ayant toujours indiqué que la facture serait « partagée ».

Pour l’heure, seuls 5 millions d’euros ont été inscrits au budget 2018 pour financer « les études techniques préalables » au lancement du passe. A terme, c’est quelque 400 millions qui seront nécessaires chaque année pour l’offrir aux quelque 800 000 jeunes âgés de 18 ans. Si la start-up d’Etat se charge de concevoir l’application, elle ne s’occupe ni de l’ingénierie financière, ni du montage institutionnel, ni des aspects juridiques qui devront notamment permettre d’éviter l’écueil de la revente, comme cela a été le cas lors de l’expérience menée en Italie. Bref, beaucoup de questions restent en suspens.

« Comme tout ce qui est neuf, inédit, le passe culture interroge », reconnaît Françoise Nyssen. Si quelques départements, comme les Alpes-Maritimes ou les Hauts-de-Seine, ont déjà des formules similaires, il s’agit là de « changer la philosophie » du ministère de la culture, défend-elle : « Traditionnellement, ce ministère passe par ses institutions pour s’adresser aux citoyens, comme par exemple nos musées avec des politiques de gratuité. Avec le passe culture, c’est l’inverse : on donne à l’usager les moyens d’être autoprescripteur, de se diriger vers l’offre de son choix, publique ou privée, sans distinction. » Et ça, c’est… « révolutionnaire ».