Editorial du « Monde ». Ainsi donc, les Etats-Unis seraient menacés, assiégés par des partenaires commerciaux qui mettent en danger la capacité de leur industrie sidérurgique à répondre à un potentiel effort de guerre. L’argument utilisé par Donald Trump pour justifier des taxes douanières de 25 % sur les importations américaines d’acier et de 10 % sur celles d’aluminium, annoncées le 1er mars, a de quoi laisser ­pantois. S’appuyant sur une loi datant de la guerre froide, qui l’autorise à recourir à des mesures protectionnistes au nom de la « sécurité nationale », le président américain prend en effet le risque de se brouiller durablement avec ses alliés, tout en fragilisant gravement son économie.

Depuis qu’il s’est porté candidat à la ­Maison Blanche, Trump a fait du protectionnisme économique son fonds de ­commerce électoral. L’Amérique aurait été le dindon de la farce d’une mondialisation qui n’aurait profité qu’aux autres pays, détruisant l’emploi et les usines aux Etats-Unis. Une fois élu, il a dénoncé le Parte­nariat transpacifique (TPP), puis lancé une renégociation de l’Accord de libre-échange nord-américain (Alena) avec le Canada et le Mexique. Aujourd’hui, sa croisade contre le libre-échange prend une nouvelle tournure en menaçant le monde d’une guerre commerciale aux effets néfastes pour la croissance.

Effet limité sur la Chine

Le risque n’est pas à prendre à la légère, même si, à ce stade, les modalités des ­barrières douanières restent à définir, ­tandis que les convictions de la Maison Blanche semblent fluctuantes. Ainsi, alors que les ­conseillers de Donald Trump assuraient jusqu’à présent qu’aucun pays ne serait exempté des nouvelles taxes, lundi 5 mars, le président américain s’est dit prêt à épargner le Canada et le Mexique, à ­condition que ces deux gros exportateurs d’acier vers les Etats-Unis acceptent un nouvel Alena plus « juste ». Ce chantage n’a eu pour effet que d’enliser un peu plus les négociations en cours.

Le paradoxe des mesures envisagées par Washington est que celles-ci n’auront qu’un effet limité sur le principal fauteur de trouble du marché mondial de l’acier et de l’aluminium, la Chine, dont la surproduction tire les prix vers le bas. Pékin est en effet un exportateur de second rang vers les Etats-Unis. Il aurait été bien plus efficace d’élaborer une riposte commune avec des alliés comme le Canada, l’Union européenne ou la Corée du Sud. Au lieu de quoi, les taxes annoncées ciblent en priorité ces partenaires historiques, qui n’auront d’autre choix que de répliquer à leur tour. Ainsi, les Européens envisagent déjà de prendre des mesures de rétorsion sur les jeans Levi’s, les motos Harley-Davidson ou le bourbon. « Nous aussi, nous pouvons être stupides », a rétorqué Jean-Claude Juncker, le président de la Commission européenne.

En attendant, il est peu probable que les taxes sur l’acier et l’aluminium parviennent à sauvegarder l’emploi aux Etats-Unis. Ces activités ne concernent que 140 000 salariés, à comparer avec les 6,5 millions d’Américains qui travaillent dans des secteurs comme l’aéronautique, l’automobile ou encore la construction, les gros utili­sateurs de métaux. Or les taxes vont renchérir leurs coûts de fabrication, sapant la compétitivité des entreprises et fragilisant l’emploi. « Les guerres commerciales sont bonnes et faciles à gagner », affirme Donald Trump. L’histoire montre au contraire que le protectionnisme, lorsqu’il est appliqué de façon aussi aveugle et systématique, ne fait que des perdants.