Documentaire sur Arte à 20 h 50

« Les anti-avortement sont repartis en guerre », prévient la voix off. Pour ces nouveaux croisés, il n’est plus question du tombeau du Christ mais des sépulcres des ­embryons avortés. En Europe, une nouvelle génération de militants remet en cause le droit à l’IVG. Une « croisade » menée au nom des valeurs chrétiennes dont le caractère réactionnaire est ici symbolisé par un cintre, qui rappelle les techniques d’avortements clandestins.

L’enquête d’Alexandra Jousset et Andrea Rawlins-Gaston, extrêmement bien construite, décrypte l’offensive livrée par les mouvements anti-avortement à travers l’Europe. Certains sont influencés par les milieux ultraconservateurs américains, d’autres potentiellement financés par des oligarques russes. Pour Avortement, les croisés contre-attaquent, les journalistes ont mené jusqu’en Russie et aux Etats-Unis un travail d’investigation implacable dans lequel elles donnent la parole aux pros, aux anti, ainsi qu’aux principales intéressées.

Une communication 3.0

Dans les pays où l’IVG est autorisée, avorter reste parfois un parcours du combattant. En Italie, où la légalisation date de 1978, 70 % des médecins refusent de s’y soumettre, au nom de l’objection de conscience, si bien que les services IVG des hôpitaux et cliniques se retrouvent saturés. Même si le pape François, en 2016, a étendu le pardon aux femmes ayant avorté, le discours de l’Eglise n’a pas changé, et son aile fondamentaliste reste très influente. Dans le nord du pays, une association procède à des enterrements de fœtus collectés dans les hôpitaux, avec l’accord de la région. Cette pratique morbide se résume en une image forte : une croix et un Christ entouré de trois fœtus. Déroutant.

Les deux auteures dressent également le portrait des nouveaux chefs de file de ces groupes, ­rompus à l’exercice de la communication 3.0. En France, Emile Duport, porte-parole des Survivants, planifie des cyberactions coup de poing pour faire parler de son mouvement dans les ­médias. ­Internet constitue un nouveau terrain d’action pour ces activistes nourris aux réseaux sociaux. Cette « guérilla numérique » est prégnante en ­Espagne, où Ignacio Arsuaga, à la tête de l’association HazteOir.org, a fait de l’activisme en ligne son cheval de bataille.

Publicité anti-IVG à Budapest, en Hongrie, en 2011. / BEA KALLOS/AFP

La lutte anti-IVG s’envisage aussi sur le terrain politique. En Europe, ces militants parviennent à faire entendre leur voix auprès des gouvernements. C’est le cas au Portugal et en Hongrie, où la loi complique désormais l’accès à l’avortement. Ils sont également de plus en plus influents à Bruxelles. Leur cible : les fonds de l’Union européenne destinés à financer la contraception et l’avortement dans les pays en voie de développement. En 2013, la pétition « One of us », en faveur de la protection de l’embryon, avait obtenu plus de 1,7 million de signatures sur le Net, du jamais-vu. Aujourd’hui, les anti-IVG font partie intégrante du lobbyisme européen.

Les réalisatrices révèlent, preuves à l’appui, les liens qui existent entre ces groupes et leurs homologues américains et russes. Leur film met au jour une « guerre » menée de front, dans l’arène médiatique, mais aussi un combat souterrain, qui s’organise par-delà les frontières, structuré par un important réseau d’individus qui « avancent masqués ».

Avortement, les croisés contre-attaquent, d’Alexandra Jousset et Andrea Rawlins-Gaston (Fr., 2017, 95 min).