Le conseiller économique de la Maison Blanche, Gary Cohn, et le président américain, Donald Trump, le 6 janvier, à Thurmont, dans le Maryland. / SAUL LOEB / AFP

Oublier la rumeur de Washington et se concentrer sur les faits : telle était, au fond, la tactique des milieux économiques depuis l’élection de Donald Trump. Ne pas prêter attention aux outrances, ne pas se laisser duper par les annonces symboliques, dans un pays où les contre-pouvoirs ont vite montré qu’ils fonctionnaient, et analyser l’impact réel de Donald Trump sur l’économie américaine.

A la fin de la première année de mandat, le sentiment dominant était qu’il pouvait y avoir du « bon » Trump, et que son action était sinon favorable à l’économie, du moins neutre, alors que les Etats-Unis connaissent le plein-emploi et un rythme de croissance du produit intérieur brut (PIB) supérieur à 2,5 %.

Depuis janvier, le « mauvais » Trump a repris le dessus, avec l’annonce d’une hausse unilatérale des droits de douane sur l’acier et l’aluminium, prélude à une guerre commerciale que le président américain appelle de ses vœux. Tirant la conséquence de ce changement d’ère, le conseiller économique de la Maison Blanche, Gary Cohn, a annoncé sa démission, mardi 6 mars.

Défaite cinglante de l’école new-yorkaise

Le départ de cet ancien de Goldman Sachs, électeur démocrate, marque une défaite cinglante de l’école new-yorkaise, ces pragmatiques ouverts sur l’international et favorables à un monde régulé. Leurs adversaires jubilent, les protectionnistes américains, ceux qui ont permis au candidat Trump de conquérir, en 2016, le vote blanc des régions désindustrialisées du Midwest, la Rust Belt (la « ceinture de la rouille »).

La bascule est complète depuis deux mois. Car, fin 2017, l’action économique du président se résumait à deux succès, qui étaient largement l’œuvre de Gary Cohn : la nomination d’un républicain modéré à la présidence de la Réserve fédérale (Fed, banque centrale américaine), Jerome Powell, pour succéder à la démocrate Janet Yellen, et une baisse généralisée des impôts.

Le plan a été critiqué par les économistes de gauche, qui ont noté que celui-ci arrivait à contretemps, en plein essor économique, et ne refondait pas le système inégalitaire américain. Certes, mais ce n’est pas le mandat électoral ni de M. Trump ni celui des Républicains. Et le stimulus, s’il est malvenu, n’était pas déraisonnable, limité à 0,7 % du PIB pendant dix ans. Ce plan, en taxant forfaitairement les bénéfices à l’étranger des multinationales américaines, les forçait à réinvestir aux Etats-Unis, comme l’a annoncé, début janvier, Apple. « America First », le slogan de M. Trump, commençait à fonctionner.

Unilatéralisme et isolationnisme

La première année de l’ère Trump était ainsi saluée par la Bourse, qui avait oublié deux décisions précédentes ; l’abandon du Partenariat transpacifique (TPP), mais il ne lui a pas été préjudiciable, car la candidate démocrate, Hillary Clinton, s’était, elle aussi, opposée à ce traité signé par Barack Obama ; la sortie de l’accord de Paris sur le climat, en dépit des efforts de Gary Cohn pour que l’Amérique reste fidèle à sa signature. Mais, en dépit de cette sortie, les Etats et les villes américaines ont décidé de passer outre, et le charbon était économiquement moribond : l’Amérique et la planète feraient sans Trump.

Puis, tout s’est brouillé en début d’année. Le président a pris une série de mesures qui ont un point commun : l’unilatéralisme et l’isolationnisme de l’exécutif américain qui pense pouvoir agir à sa guise sans en supporter de lourdes conséquences, en raison notamment du privilège du dollar.

C’est vrai avec le budget fédéral adopté en janvier, qui fait la part belle aux dépenses militaires et va voir les déficits budgétaires s’envoler autour de 5 % du PIB en 2019, alors que le pays en sera à sa dixième année de croissance. Mais, comme la planète veut du dollar en monnaie de réserve, les Etats-Unis peuvent se financer à bon prix en dépit d’une dette proche de 100 % du PIB. Et cette dérive ne finance même pas l’avenir, puisque le plan de grands travaux souhaité par M. Trump, dans un pays aux infrastructures déficientes, mobiliserait seulement 200 milliards de dollars (160 milliards d’euros) du budget fédéral sur dix ans, soit 0,1 % du PIB américain par an.

C’est vrai avec le déficit du commerce extérieur. Il a de nouveau battu des records en 2017. Non pas parce que l’industrie américaine n’est pas compétitive ou qu’elle souffre de traités commerciaux injustes, comme le croit Donald Trump. Le problème est macroéconomique : les Américains consomment et n’épargnent pas – le taux d’épargne des ménages était de 2,3 % en janvier –, ce qui creuse les déficits commerciaux du pays. Le reste du monde est ravi de les financer pour avoir ces précieux dollars en monnaie de réserve.

Troisième domaine où les Américains agissent unilatéralement : le commerce. Les protectionnistes qui conseillent Donald Trump, tels le conseiller de la Maison Blanche, Peter Navarro, le secrétaire au commerce, Wilbur Ross, ou le représentant au commerce, Robert Lighthizer, pensent que les Etats-Unis n’ont pas grand-chose à craindre d’une riposte de leurs partenaires.

Quatre phénomènes pourraient avoir une influence sur Trump

Ceux-ci agissent avec finesse : les Européens veulent pénaliser les leadeurs républicains du Sénat, Mitch McConnel, et de la Chambre des représentants, Paul Ryan, dans leurs fiefs électoraux, en taxant le Bourbon du Kentucky et les Harley Davidson du Wisconsin ; les Chinois envisagent de pénaliser les agriculteurs républicains du Midwest en taxant le sorgo. Mais tous évitent une guerre généralisée. Mais les mesures extérieures ont une incidence limitée.

Dans ce contexte, toute réorientation viendrait de l’intérieur des Etats-Unis. Quatre phénomènes pourraient avoir une influence sur le président : la chute de Wall Street – pour l’instant, la Bourse tousse mais ne décroche pas ; le chaos au sein des multinationales américaines, qui viennent d’encaisser les dividendes de la réforme fiscale ; une bronca au Parti républicain ; une sanction de la Fed, qui remonterait les taux beaucoup plus fortement en raison des tensions inflationnistes provoquées par M. Trump lui-même (déficits, barrières à l’importation), au risque de plonger le pays dans la récession.

En attendant la nomination du successeur de Gary Cohn, les milieux économiques en ont la démonstration en 2018 : le « vrai Donald Trump », comme le proclame son compte Twitter, reste plus que jamais proche du candidat de 2016. Surtout à six mois des élections de mi-mandat.