LES CHOIX DE LA MATINALE

Le premier film prometteur d’un jeune Russe, une comédie de et avec l’ange déchu d’Hollywood James Franco, un documentaire sur les âpres blessures de l’Algérie et un film sud-coréen et français avec Isabelle Huppert. Voici notre sélection cinéma hebdomadaire

FILM NOIR À LA CAUCASIENNE : « Tesnota. Une vie à l’étroit », de Kantemir Balagov

TESNOTA - UNE VIE A L'ETROIT - Bande-annonce officielle
Durée : 01:18

Il arrive parfois qu’une première œuvre, de celles qu’on dit « de jeunesse », nous donne à reconnaître d’emblée l’apparition d’un véritable cinéaste. C’est le cas de Tesnota, qui évoque un fait divers, une sombre affaire d’enlèvement, celle de jeunes fiancés juifs, David et Léa, dont les familles furent soumises à d’exorbitantes demandes de rançon dans la République caucasienne de Kabardino-Balkarie. Mais le récit s’entortille ailleurs : autour d’Ilana (Darya Zhovner), la grande sœur de David, qui va subir, en quelque sorte, les contrecoups intimes de cet enlèvement.

Avant cela, on la découvre les mains dans le cambouis, travaillant dans le garage de son père, puis comme l’électron libre du foyer. Ilana, infiniment mobile, se faufile d’un recoin à l’autre du champ, glisse entre les silhouettes, prend bientôt la tangente pour rejoindre son petit ami, Zalim, un Kabarde qu’elle aime d’un amour clandestin. Personnage fuyant, insaisissable, elle est la promesse fragile d’un trait d’union entre deux communautés qui s’ignorent et laissent s’amonceler entre elles de dangereux préjugés. L’enlèvement tombe comme un coup de hache, une déflagration. Les dimensions historique, sociale et familiale se nouent ainsi dans une résolution intime de l’héroïne. Rester ou partir ? Vivre seule ou en groupe ? Avec les siens ou avec les autres ? Questions inéluctables qui, depuis toujours, relancent le grinçant balancier des générations. Mathieu Macheret

Film russe et kabarde de Kantemir Balagov. Avec Darya Zhovner, Olga Dragunova, Artem Tsypin (1 h 58).

UNE COMÉDIE AU BORD DU GOUFFRE : « The Disaster Artist », de et avec James Franco

The Disaster Artist | Tommy | Official Trailer 2 HD | A24
Durée : 02:11

Si l’on parvient à faire abstraction des circonstances (le réalisateur et acteur James Franco ayant à son tour disparu de la scène publique depuis de récentes imputations de harcèlement sexuel), on caractérisera ce film comme une comédie de mœurs hollywoodienne plutôt bien tournée, habitée par la performance de James Franco dans le rôle de cet être étrange qu’est Tommy Wiseau, auteur du film-« culte » navrant The Room. Le scénario de Scott Neustadter et Michael H. Weber est adapté du récit que Greg Sestero a fait de son tournage.

En 1998, Sestero (Dave Franco, frère de), qui a alors une vingtaine d’années, rencontre dans un cours d’art dramatique de San Francisco un garçon à l’accent étrange, à la chevelure aile de corbeau, qui se refuse à dire son âge et son origine. Tommy Wiseau abasourdit professeure et élèves par son interprétation de Stanley Kowalski dans Un tramway nommé Désir : non seulement il hurle plus fort que Brando, mais il n’a pas une once du talent de son modèle. Sestero le suivra pourtant dans l’aventure délirante du tournage de son film. Incarnée par deux frères, cette histoire d’amitié qui tourne mal tient lieu de colonne vertébrale au film. James et Dave Franco la portent aussi loin qu’ils le peuvent, sans arriver tout à fait à lui donner un sens. Thomas Sotinel

Film américain de et avec James Franco. Avec Dave Franco, Brie Larson, Seth Rogen (1 h 44).

RETOUR À FLEUR DE PEAU SUR UNE VILLE DÉVASTÉE : « Atlal », de Djamel Kerkar

ATLAL Bande Annonce (2018) Documentaire
Durée : 01:49

Premier long-métrage de l’Algérien Djamel Kerkar, ce documentaire chronique dans une veine impressionniste Ouled Allal, ville située à mi-chemin entre Alger et le maquis du Groupe islamique armé, qui fut mise à feu et à sang à partir de 1992. Sa population la déserta, laissant derrière elle un village en ruine. Le cinéaste y retourne aujourd’hui pour voir s’il y a encore âme qui vive, et si ces âmes parlent. Filmant longuement les ruines et les bâtiments en construction, les arbres abattus, la nature traumatisée et pourtant renaissante, le vent qui souffle, un chien qui joue, des hommes qui tentent comme ils peuvent de se reconstruire, il nous rapporte, dans ce film, âprement ressenti, le fruit de trois rencontres essentielles.

Trois hommes, de générations différentes, chassés de chez eux par les islamistes, qui nous disent qu’avoir 20 ans en Algérie, c’est faire, peu importe la date à laquelle on les vit, l’expérience stoïque de la guerre, de la pauvreté, de la souffrance. Il y a, dans ces récits d’hommes confrontés à la rudesse de leur pays, brûlant rageusement leurs cigarettes dans la nuit, une dureté, une humanité, une émotion qui, cadrées à corps perdu dans une ville comme abandonnée, nous font signe fraternellement. Jacques Mandelbaum

Documentaire algérien de Djamel Kerkar (1 h 41).

MATISSE ET HUPPERT SOUS PAVILLON CORÉEN : « La Caméra de Claire », de Hong Sang-soo

LA CAMÉRA DE CLAIRE Bande Annonce (Isabelle Huppert - Cannes 2017)
Durée : 02:36

Pendant le Festival de Cannes, sous le pavillon sud-coréen, Manhee, une jeune employée, est licenciée sans ménagement par sa patronne, Nam, d’âge mûr. Ce geste arbitraire révèle une jalousie qui ne dit pas son nom, puisque les deux femmes aiment ou ont aimé le même homme, un réalisateur alcoolique et débonnaire, venu présenter son dernier film. Claire (Isabelle Huppert), une Française en goguette, rencontre les trois membres de ce trio disloqué et les prend tour à tour en photographie. Ses images circulant de l’un à l’autre permettent aux Coréens de se reconsidérer mutuellement et de faire évoluer leur relation à distance.

Tournée en catimini pendant l’édition 2016 du Festival de Cannes, cette courte bande, presque inconséquente, semble la concrétisation d’une utopie : celle de filmer comme on respire, comme on pense, comme on souffre ou comme on chante. Le film se présente comme une nouvelle étude des turpitudes amoureuses, avec ses motifs habituels d’hésitation et de déshérence, familiers de l’univers intime du cinéaste. Mais son déplacement à l’étranger, sur la Côte d’Azur, lui donne une coloration nouvelle, ainsi qu’une certaine distance réflexive, qui tranche avec la noirceur et le désespoir de ses précédents films. La Caméra de Claire, illuminée par le printemps méridional, a la limpidité de trait, la clarté éclatante et les motifs papillotants d’un Matisse période niçoise. M. Ma.

Film sud-coréen et français de Hong Sang-soo. Avec Isabelle Huppert, Kim Min-hee, Chang Mi-hee, Jung Jin-young (1 h 09).