Une réunion de crise devait se tenir mercredi 7 mars dans l’après-midi, au siège de la Société protectrice des animaux (SPA). Natacha Harry, la présidente, a convoqué son conseil d’administration pour tenter d’éteindre l’incendie qui commence à se propager. Depuis un mois, la plus ancienne association française de défense de la cause animale est sous tension. Alors qu’elle vient d’être condamnée en justice pour avoir licencié abusivement son directeur général en 2016, l’association est en passe d’écarter également celui qui lui a succédé. Un deuxième licenciement qui passe mal. Plusieurs administrateurs s’y sont déclarés hostiles, et l’un d’eux, le secrétaire général, a claqué la porte le 27 février.

« La maison ne fonctionne plus d’une façon normale, sa présidente devient omnipotente, et je ne veux pas cautionner ce qui se passe », explique au Monde l’avocat Eric Gaftarnik, qui a démissionné du conseil et de sa fonction bénévole de secrétaire général, c’est-à-dire de numéro deux. Mise en cause, Natacha Harry entend vérifier mercredi que la majorité du conseil la soutient toujours. Elle a parallèlement déposé une plainte pour dénonciation calomnieuse visant son directeur général, et engagé une procédure pour découvrir l’auteur de messages anonymes malveillants.

« Le climat ne peut-être qualifié de serein »

Ce n’est pas la première fois que la SPA traverse une zone de turbulences. Dans les années 2000, la Cour des comptes avait contrôlé à plusieurs reprises cette grosse association de 650 salariés et 4 000 bénévoles, et constaté l’« extrême désordre » du service chargé de récupérer les legs, le nerf de la guerre – ils représentent plus de la moitié des recettes. Très mal gérée, en déficit, l’association avait dû être confiée durant trois ans à une administratrice judiciaire. Celle-ci s’était payée sur la bête, en percevant selon la Cour des comptes une rémunération « disproportionnée par rapport aux résultats obtenus ».

En 2013, une journaliste toujours chic et souriante, Natacha Harry, a été choisie pour sortir la SPA de l’ornière. Elle a en partie réussi. Le service des legs a été réorganisé. La communication, moins axée sur la misère animale, a permis d’attirer un nouveau public. Les comptes sont, un temps, sortis du rouge. Pour autant, « le climat entourant le fonctionnement de l’association depuis 2011 ne peut être qualifié de serein », note la Cour des comptes dans son dernier rapport, publié en mars 2017, en soulignant « les relations complexes entre les salariés et les bénévoles », « la forte rotation » du personnel, et « l’instabilité de la direction du siège ».

Sur ce terrain, Natacha Harry a échoué. Le directeur général en poste à son arrivée est parti juste après son élection. Le suivant, Jean-Benoît Sangnier, a été licencié pour faute grave en juillet 2016, trente mois après son embauche. Problème, la faute en question n’était guère précise, au-delà d’une remarque sexiste, d’un comportement « déloyal », et d’un manque de stratégie. Le 8 février 2017, devant les prud’hommes, Jean-Benoît Sangnier s’est battu avec succès. Les juges ont estimé qu’il avait été licencié « sans cause réelle et sérieuse », et condamné la SPA à payer 142 000 euros. Celle-ci envisage de faire appel.

Au passage, l’audience a permis de connaître enfin le salaire du directeur général, que la présidence refusait de communiquer : 12 083 euros brut par mois. Un montant très élevé pour une association qui vit de dons et legs.

« Graves dysfonctionnements »

Ce licenciement n’a pas calmé le jeu longtemps. Joël Pain, le successeur de M. Sangnier, arrivé en octobre 2016, s’apprête lui aussi à se faire licencier pour faute grave. Il lui est notamment reproché « des propos parfaitement inacceptables et sexistes qu’il a pu tenir dans l’exercice de ses fonctions », indique l’avocat de la SPA.

Mis à pied à titre conservatoire, Joël Pain a réagi en envoyant aux membres du conseil d’administration, le 19 février, une lettre destinée à leur expliquer son conflit avec Natacha Harry et les « alerter » sur de « graves dysfonctionnements » ainsi que de possibles « faits délictueux ». Il y accuse la présidente de la SPA d’avoir dépensé sans compter en matière de communication, notamment en versant 450 000 euros depuis décembre 2013 à l’agence Image 7 pour des prestations qu’il estime soit fictives, soit destinées à valoriser l’image de la seule Natacha Harry. « Un culte de la personnalité inapproprié et sans rapport avec la cause défendue. » Le directeur général souligne aussi combien l’association, retombée dans le rouge en 2016, reste fragile. Sa conclusion : « Ecarter Mme Harry sans délai semble indispensable… »

Dans l’immédiat, la présidente de la SPA est déterminée à rester. Mais plusieurs membres du conseil sont atterrés par ce troisième licenciement d’un directeur général en quatre ans. « Au-delà des fuites dans la presse – entraînant une image négative de l’association –, il s’avérera à nouveau très coûteux, au détriment des animaux », s’alarment certains. « C’est le signe évident d’un dysfonctionnement sur lequel il convient de s’interroger », ajoute l’ex-secrétaire général Eric Gaftarnik, qui craint que, plutôt que de recruter un nouveau directeur général, Natacha Harry ne se transforme en PDG de fait. Confondre le rôle des élus bénévoles et celui des dirigeants opérationnels salariés, un classique dans les associations.