Leonid Sloutski, député et président de la commission des affaires étrangères de la Douma, en juillet 2015. / Alexander Zemlianichenko / AP

Le début d’une version russe du mouvement MeToo ? En quelques jours, cinq femmes journalistes ont témoigné à visage découvert avoir été l’objet de harcèlement sexuel dans l’exercice de leur métier, et trois d’entre elles ont désigné le même agresseur, Leonid Sloutski, député et président de la commission des affaires étrangères de la Douma (la Chambre basse du Parlement russe). Il fallait sans doute une certaine dose de courage à ces consœurs pour briser le silence en Russie, où la vague de libération de la parole déclenchée par le scandale Weinstein a davantage suscité de sarcasmes que de débats.

A la veille de la Journée internationale de la femme, le 8 mars, célébrée ici depuis 1965 sur un mode consensuel, Farida Roustamova a pris son courage à deux mains. Journaliste à la BBC, la chaîne britannique d’information, elle se trouvait, le 24 mars 2017, dans le bureau du député Sloutski, élu sous l’étiquette LDPR (ultranationaliste), pour l’interroger sur la présence à Moscou, ce jour-là, de Marine Le Pen, alors en campagne présidentielle.

« Tu seras sa femme et ma maîtresse »

Comme elle l’a raconté, la discussion a vite dérapé. Esquivant ses questions, son interlocuteur commence à l’appeler « mon lapin », avant de lui faire des avances déplacées. « Parfait, tu seras sa femme et ma maîtresse », lui répond-il lorsqu’elle tente de le raisonner en lui parlant de son fiancé. Puis il se rapproche et lui passe la main dans l’entrejambe. D’abord pétrifiée, la journaliste quitte la pièce en larmes.

« J’avais peur d’être seule dans cette histoire », explique Farida Roustamova

Farida Roustamova dit avoir la preuve de ce qui s’est passé car la conversation a été enregistrée. Elle « nous avait informés peu de temps après », confirme un porte-parole de la chaîne à Londres. « J’avais peur d’être seule dans cette histoire, justifie la journaliste pour expliquer sa retenue pendant un an. J’avais aussi peur d’être jugée par la société patriarcale russe. Et je me suis mal jugée moi-même parce que je ne l’ai pas frappé ou crié quand il m’a fait cela. »

Avant elle, deux autres journalistes, Ekaterina Kotrikadze, rédactrice en chef adjointe de la chaîne RTVI, et Daria Jouk, productrice sur la chaîne Dojd, ont décrit des faits similaires, subis en 2011 et en 2014, avec le même député. Sollicité par Le Monde, Leonid Sloutski n’a souhaité faire « aucun commentaire ».

Le 27 février, Sofia Roussova, une autre journaliste, avait, la première, rapporté sur la radio Govorit Moskva avoir été harcelée par un élu local qui l’avait même suivie et agressée devant son domicile. « Moi aussi, j’ai eu des problèmes avec certains fonctionnaires », enchaînait le lendemain Elena Kriviakina, dans le journal tabloïd Komsomolskaïa Pravda. Mais toutes, loin d’entraîner des réactions de solidarité, ont récolté quolibets et remontrances.

La commission d’éthique du Parlement devrait être saisie

Viatcheslav Volodine, président de la Douma, a jugé que les témoignages contre le député Sloutski pouvaient « être considérés comme une tentative de jeter le discrédit » sur la campagne présidentielle en cours. « C’est dangereux pour vous de travailler à la Douma ? Si oui, changez de métier », a-t-il lancé, mercredi, à la presse parlementaire. La commission d’éthique du Parlement devrait toutefois être saisie.

Leonid Sloutski « traite toujours les femmes avec chaleur », selon un député

Un député a suggéré de retirer leur accréditation aux plaignantes. « Je connais Sloutski depuis plusieurs années. (…) C’est quelqu’un de très instruit (…) qui traite toujours les femmes avec chaleur. Peut-être a-t-il plaisanté », a commenté Tamara Pletneva, présidente de la commission sur la famille, en conseillant aux journalistes de « s’habiller convenablement : c’est une institution ici, pas un lieu où déambuler le nombril nu ».

« La majorité des élus est unanime pour prendre la défense de Sloutski, mais j’ai l’espoir qu’une commission sera créée et que nous serons auditionnées, confie Daria Jouk. Ils veulent attendre la fin de la présidentielle, soit, mais on ne les laissera pas oublier le sujet. On va le leur rappeler. »

Le chemin s’annonce ardu. Il n’existe aucune loi en Russie sur le harcèlement sexuel et les peines pour violences conjugales ont récemment été allégées.