Vue d’artiste du projet Europacity, prévu pour s’étendre sur 80 hectares dans le Triangle de Gonesse (Val-d’Oise), au nord-est de Paris. / HANDOUT / AFP

L’ovni architectural verra-t-il le jour ? Le gigantesque projet immobilier EuropaCity a subi un revers en justice mardi 6 mars. Un épisode judiciaire qui pourrait compromettre le plus grand investissement privé en France depuis la construction de Disneyland Paris en 1992. Explications en six questions sur ce dossier complexe, qui suscite une vive opposition.

EuropaCity, c’est quoi ?

EuropaCity est un projet de parc d’activités à vocation touristique et culturelle, prévu pour s’étendre sur 80 hectares de terres encore agricoles du Val-d’Oise, à une quinzaine de kilomètres au nord-est de Paris, dans le Triangle de Gonesse – une zone située entre les aéroports du Bourget et de Roissy, rendue inhabitable par les nuisances sonores.

Ce futur complexe pharaonique, dont la livraison initiale était prévue pour 2024, devrait comprendre un parc d’attractions, des espaces verts, un parc aquatique, un centre commercial, des salles de spectacle, des restaurants, 2 000 chambres d’hôtel, une ferme urbaine, et même un « parc des neiges » incluant une piste de ski…

Un projet à 3,1 milliards d’euros porté par Immochan, la filiale immobilière du groupe de distribution Auchan, et cofinancé par le géant de l’immobilier chinois Wanda. L’objectif est d’attirer 31 millions de visiteurs (gratuits et payants) par an.

Pourquoi et par qui le projet est-il contesté ?

Emblématique des conflits entre grands projets d’aménagement et préservation des zones agricoles, EuropaCity et connaît une forte opposition, notamment locale.

Le projet d’urbanisation du Triangle de Gonesse, qui comprend aussi un centre d’affaires de 800 000 m2 et une gare du Grand Paris Express, va en effet détruire en tout 260 hectares de terres cultivables, soit l’équivalent du 5e arrondissement de Paris. Les opposants y voient un scandale écologique – la construction entraînera une imperméabilisation des sols et une dégradation de la ressource en eau potable – et une gabegie financière, symbolisés par cette piste de ski prévue dans le projet.

Parmi ses détracteurs, on trouve ainsi des agriculteurs de la Confédération paysanne et du réseau d’AMAP (associations pour le maintien d’une agriculture paysanne) d’Ile-de-France, la chaîne de magasins Biocoop, des associations citoyennes et écologistes, des élus de Seine-Saint-Denis, ou encore la Confédération des commerçants de France et les architectes et urbanistes de l’Atelier citoyen. Le ministre de la transition écologique, Nicolas Hulot, a lui-même critiqué en juillet 2017 la « folie des grandeurs » du projet, affirmant qu’il n’était « pas compatible » avec le plan climat.

Des arguments rejetés par les acteurs principaux du projet, notamment le maire (PS) de Gonesse, Jean-Pierre Blazy, qui martèle qu’EuropaCity devrait apporter 40 millions de recettes fiscales pour les communes avoisinantes et permettre la création de 10 000 emplois bruts, à nuancer par la destruction d’environ 2 000 emplois dans la zone géographique.

Manifestation contre le projet Europacity, le 21 mai 2017 à Gonesse. / THOMAS SAMSON / AFP

Où en est le projet actuellement ?

Face à ces critiques, Auchan et Wanda ont procédé à des modifications, assurant ne pas vouloir faire un « Dubaï aux portes de Paris ». Une version remaniée du projet a été présentée en septembre 2017, selon laquelle des concours d’architectes devraient avoir lieu pour l’attribution de huit bâtiments : une salle de concert, une salle de cirque contemporain, un centre culturel consacré au cinéma, et cinq hôtels. Mais le fond du projet reste globalement le même – le « parc des neiges » et sa piste de ski, qui cristallisent la colère, n’ont pas été abandonnés.

Les autorisations administratives doivent être déposées à la fin de l’année, pour un début de chantier prévu fin 2019. Le calendrier de fin de chantier a quant à lui été modifié par le gouvernement, qui a reporté de trois ans, à 2027, la mise en service de la gare du Grand Paris Express desservant le Triangle de Gonesse, étape essentielle pour la viabilité du projet.

Qu’est ce qui a été décidé par la justice et qu’est ce que ça change ?

Plusieurs opposants au chantier ont déposé des recours, notamment suite à l’enquête publique remise à l’été 2017, qui considère le projet comme peu compatible avec la notion de développement durable.

Le tribunal administratif de Cergy-Pontoise a annulé, mardi 6 mars, l’arrêté du préfet du Val-d’Oise autorisant la création de la zone d’aménagement concerté (ZAC) devant accueillir le mégacomplexe. Le tribunal a estimé « que l’étude d’impact mise à disposition du public dans le cadre de l’enquête publique (…) était insuffisante » sur plusieurs points, notamment environnementaux.

Quelles sont les réactions ?

Les porteurs du projet ont fait savoir qu’ils prenaient acte de la décision de justice, mais n’abandonnaient pas le projet pour autant. Le directeur du développement d’EuropaCity, David Lebon, a déclaré que la décision du tribunal administratif ne portait « pas un coup d’arrêt » au projet. Le maire de Gonesse, Jean-Pierre Blazy, estime également qu’« il s’agit plus d’un contretemps que d’une remise en cause ».

Vue d’artiste du projet EuropaCity.

En revanche, pour Me Étienne Ambroselli, l’avocat des opposants à EuropaCity, cette entreprise démesurée se conjugue déjà au passé. « La décision du tribunal est un coup d’arrêt », a-t-il martelé, rappelant que « l’Etat français veut donner des leçons à tout le monde en matière de lutte contre le changement climatique, il ne devrait donc pas s’acharner dans cette urbanisation ». Et le conseil de comparer la situation avec l’abandon du projet d’aéroport de Notre-Dame-des-Landes, qui « procède de la même logique ».

Qu’est-ce qui va se passer maintenant ?

Etant donné qu’il s’agit d’une ZAC d’Etat, créée et aménagée via son aménageur Grand Paris Aménagement, c’est au préfet du Val-d’Oise qu’il reviendra de décider de faire appel ou non de cette décision, et de choisir ou non de compléter l’étude d’impact. Mardi, la préfecture indiquait seulement que « les services de l’Etat analysent cette décision ainsi que les suites à donner ».

Du côté des opposants, on prévoit déjà la suite. « Même si l’on ne pense pas que la décision du juge soit suffisante pour empêcher l’urbanisation de ces terres agricoles, elle ne peut que nous encourager et nous donner l’espoir d’aller au bout », explique ainsi un responsable du Collectif pour le triangle de Gonesse au site Reporterre.

La guérilla judiciaire entre soutiens et opposants du projet promet en effet d’être longue. D’autres recours, portant notamment sur la modification du plan local d’urbanisme (PLU), ont été déposés et ne seront pas tranchés avant l’été. En attendant, les opposants prévoient un rassemblement d’ampleur le 27 mai sur les terres du triangle de Gonesse.