Tribune. 8 mars, jour où la femme se fête. Pourtant, fêter la femme dans un contexte qui lui est partiellement hostile revient à faire une fête de sa propre défaite. Loin d’être une victoire, en effet, de constater que les réussites que nous célébrons, dont le Code du statut personnel, fruit de la vision bourguibienne, sont celles des générations passées, que les plus grandes réalisations sont le fruit des combats de nos grands-mères et mères.

Droit à l’avortement, droit de vote, divorce par consentement mutuel… sont des acquis reçus en héritage. Ils étaient censés garantir à la femme tunisienne une place confortable et stable dans sa société. Mais la Tunisienne du XXIe siècle vit encore, dans bien des cas et dans certaines villes, son genre comme une menace, comme une discrimination au sein même de sa famille, avec la bénédiction de la loi.

Archaïsmes législatifs et sociaux

Nos prédécesseur(e) s ont lutté pour des lois, nous luttons pour des lois et contre un état d’esprit. Oui, nous sommes, nous, en train de mener un combat (encore un) contre l’obscurantisme, le machisme devenu sociétal et des inégalités en nombre.

En Tunisie, les femmes sont en confrontation quotidienne avec une législation anachronique, un mal profond qui s’ajoute au lot d’injustices normalisées. Le dossier en cours étant l’égalité dans l’héritage car, dans ce pays qui se reconstruit, l’inégalité (dans l’héritage) est défendue à coup de versets coraniques et d’accusations d’apostasie. Oui, on en est encore là !

C’est bien au nom du Coran que le frère continue d’hériter le double de sa sœur en Tunisie. Une transposition des dispositions religieuses dans la législation qui dérange beaucoup. Et elles sont nombreuses à s’ériger contre cette règle de partage vécue comme une injustice. Une coalition nationale pour légalité dans l’héritage a même vu le jour et prévoit une marche ce samedi 10 mars. L’objectif est de soutenir une initiative proposée par le président de la République, Béji Caïd Essebsi, le 13 août 2017, à l’occasion de la célébration de la femme (encore une fois), qui appelait à l’autorisation de l’égalité dans l’héritage et du mariage des Tunisiennes à de non-musulmans.

Les enjeux actuels pour la femme tunisienne sont importants. La Tunisienne lutte contre les archaïsmes législatifs et sa lutte est d’autant plus rude que les archaïsmes sociaux persistent, que le machisme est enraciné, que les mentalités rétrogrades ont leurs arguments et que ceux-ci peuvent être exploités politiquement.

Nivellement par le bas

Nous en sommes encore, femmes du monde, toutes cultures confondues, abstraction faite de nos avancées respectives, dans des phases décisives, en lutte contre une réflexion galvaudée devenue norme, contre le sexisme, contre le harcèlement de rue, au travail, dans les transports. En attestent les #MeToo et les #Time’sUp : que l’on soit musulmane, chrétienne ou juive, française, américaine ou tunisienne, nous sommes unies par nos similarités dans les disparités !

Paradoxalement, cette fête de la femme gêne et ne fait pas qu’honorer. Pas seulement parce qu’il n’y a pas, dans le calendrier des fêtes, une occasion pour rendre la pareille à la gente masculine, ni parce que cela est gênant de voir fêter son appartenance, alors que c’est, pour elle, que le combat se poursuit. Cela est gênant de voir que l’on fait de son genre un événement marketing, un instrument de propagande politique, un sujet d’études, un objet de fonds. Alors que les bases acquises en matière de droit sont en péril et que le nivellement par le bas opère, alors qu’on normalise avec le sexisme et qu’on l’autorise à trouver sens dans le système judiciaire, il est dur de se laisser fêter, même une fois l’an.

Ceci nous rappelle que, dans « ségrégation positive », il y a « ségrégation » et que, pour être « positives », il faut sortir de la bulle, cesser le silence, hausser la voix, s’imposer et faire le changement.

Inès Oueslati est une journaliste tunisienne qui vit à Tunis.