Manifestation de cheminots, le 16 juin 2011 à Paris, opposés à l'ouverture à la concurrence dans le transport régional de voyageurs. / FRED DUFOUR / AFP

Face à la « feuille de route des libéraux » et au « démembrement » à venir de la SNCF, autrement dit face à la vaste transformation de la SNCF, qui sera présentée sous forme de projet de loi en conseil des ministres mercredi 14 mars, la CGT Cheminots, premier syndicat du groupe ferroviaire public, a décidé de dégainer ses propositions de contre-réforme du rail français.

Mercredi 7 mars, au siège du syndicat, à Montreuil (Seine-Saint-Denis), Laurent Brun, secrétaire général de la CGT Cheminots a présenté à la presse un rapport intitulé « Ensemble pour le Fer » et sous-titré « Rapport sur l’avenir du service public ferroviaire et contre le statu quo libéral ». Le document de 45 pages sera transmis au premier ministre Edouard Philippe dans les prochains jours dans le but de « réorienter les décisions du gouvernement ». M. Philippe s’est, selon M. Brun, engagé à recevoir la CGT pour en discuter.

Que contient ce texte ? D’abord un constat qui prend le contre-pied de ceux du rapport publié le 15 février par Jean-Cyril Spinetta, sur lequel le gouvernement s’appuie pour réformer la SNCF : non, la concurrence n’a pas partout permis une augmentation des trafics et une amélioration de la qualité de service ; non, le rail n’est pas très subventionné si on le compare à la route ; non, la SNCF n’est pas inefficace, citant la société de conseil Boston Consulting Group ; non, ajouter une dose de privé dans le système et recourir à la sous-traitance ne fait pas baisser les coûts…

Il découle de cet ensemble une série de propositions radicalement inverses de celles de Cyril Spinetta et dont voici une sélection.

  • Renoncer à la concurrence dans le ferroviaire

Selon la CGT, l’argument d’un passage obligatoire à la concurrence imposé par Bruxelles est contestable. Si le syndicat ne nie pas que le quatrième Paquet ferroviaire européen prévoyant la concurrence a bien été adopté, il a déniché dans les textes communautaires des clauses techniques, économiques et sociales permettant, selon lui, de s’en affranchir. Ces clauses ont d’ailleurs été invoquées, dit la CGT, pour retarder bien au-delà de 2023 la concurrence dans le transport ferroviaire francilien.

  • Lancer un effort national pour augmenter la part du train dans les transports

« Nous sommes effarés que le premier ministre ne fasse plus aucune référence à une ambition publique de report modal, a déclaré Laurent Brun. Le tout routier se confirme dans cette omission. » La CGT propose donc un plan extrêmement volontariste que l’on pourrait appeler « plan 25 % ». La part du train dans le transport devrait atteindre 25 % partout : 25 % pour les marchandises, 25 % pour les voyageurs sur longue distance, 25 % pour les trajets courts.

L’effort pour le fret serait considérable (il implique une hausse de 330 % des marchandises transportées en train) mais aussi sur les voyages de courte distance pour lesquels le rail occupe moins de 12 % du marché. Il faut donc 3 milliards d’euros supplémentaires annuels, de l’aveu même du syndicat, pour financer cet effort national.

  • Désendetter la SNCF en utilisant une structure de défaisance

La première piste pour dégager des marges de manœuvre financières serait une reprise de la dette de la SNCF – 54,5 milliards d’euros au total – par l’Etat. Cela soulagerait l’entreprise de 1,7 milliard d’euros d’intérêts annuels a calculé le syndicat. Point original : cette transformation en dette publique ne serait pas une reprise pure et simple mais un transfert vers une structure dédiée, un peu comme cela a pu être fait il y a quelques années pour le Crédit lyonnais. La CGT a trouvé un nom à cette structure dite de défaisance : la Cadefe (Caisse d’amortissement de la dette ferroviaire de l’Etat).

  • Nationaliser les autoroutes pour financer le désendettement

Afin d’abonder cette nouvelle caisse, la CGT propose de renationaliser la « rente » sur laquelle sont assises les sociétés concessionnaires d’autoroutes issues de la privatisation de 2007 et d’affecter cette ressource à l’apurement de la dette ferroviaire cantonnée dans la Cadefe, « afin de ne pas faire supporter au seul contribuable le poids de la dette ferroviaire de l’Etat ».

  • Réserver la TICPE aux infrastructures de transport

Payée essentiellement par les automobilistes et camionneurs lorsqu’ils font le plein de leur véhicule, la Taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques (TICPE) est l’une des principales ressources de l’Etat. La CGT propose de la sanctuariser et de consacrer l’intégralité des 28 milliards d’euros qu’elle rapporte au financement des infrastructures de transport (routier, ferroviaire, portuaire et fluvial), dont 6 milliards directement pour le réseau ferré national.

  • Revenir à un groupe public unique et intégré

Pas question pour la CGT d’accepter la proposition du gouvernement de transformer la SNCF en une société anonyme. Mais le syndicat ne veut pas non plus de l’actuel éclatement en plusieurs entités : une branche réseau et une branche mobilité sous-divisée en une branche Voyageurs, une branche TER, une branche Fret, une branche Ile-de-France… Sans compter les centaines de filiales de la SNCF. Surtout, la CGT ne veut plus d’une séparation juridique entre la gestion du réseau et la circulation des trains.

  • Pérenniser et même renforcer le statut de cheminot

« L’affirmation maintes fois assénée par les partisans de la fin du statut de cheminots que celui-ci coûterait 30 % de plus que les salariés de la concurrence n’est pas démontrée », dit le rapport. La CGT estime que ce statut est « consubstantiel au service public » et le garant de la continuité du ferroviaire sur le territoire national. Mais elle va plus loin, considérant qu’il y a eu des attaques contre ce statut en particulier par des embauches de plus en plus nombreuses de contractuels (environ 30 % aujourd’hui). « Le statut de cheminot, non seulement je vais le défendre mais je veux le renforcer », a expliqué Laurent Brun.