La première ministre britannique, Theresa May, et le prince Mohammed Ben Salman, le 7 mars. / TOLGA AKMEN / AFP

Déjeuner avec la reine Elizabeth II, dîner avec la première ministre Theresa May, rencontre avec les banquiers de la City, le ministre des finances et l’archevêque de Canterbury : trois jours durant, le Royaume-Uni a déroulé le tapis rouge au prince héritier saoudien Mohammed Ben Salman, dit « MBS ». De part et d’autre, les bénéfices attendus de la visite, qui s’est achevée vendredi 9 mars, étaient clairement affichés.

Pour le prince de 32 ans récemment hissé au pouvoir de l’un des régimes les plus conservateurs de la planète, il s’agissait de promouvoir son image de réformateur en matière de mœurs – il a accordé aux femmes le droit de conduire – et de mettre en lumière sa volonté de diversification économique destinée à faire face à l’hémorragie budgétaire consécutive à l’effondrement du cours du pétrole.

Aucun passant londonien, aucun lecteur de journal britannique n’ignore plus que le « plan Vision 2030 » du prince Ben Salman « apporte le changement à l’Arabie saoudite ». Une spectaculaire campagne de publicité portant notamment ce slogan a accompagné la tournée princière sur des panneaux, des camionnettes et des taxis. Partout, le sourire conquérant de l’homme fort d’Arabie saoudite s’est imposé. Un autre placard juxtaposait les drapeaux britannique et saoudien frappés du slogan « Royaumes-unis ».

Dans les journaux, la bataille de communication faisait parfois cohabiter des messages contradictoires. Mercredi, le même numéro du Guardian publiait une tribune d’Emily Thornberry, ministre des affaires étrangères du cabinet fantôme travailliste (opposition) dénonçant le « honteux tapis rouge » déroulé pour le prince par Mme May et une publicité vantant les avancées pour les femmes permises par « MBS ». 

« Enormes opportunités commerciales »

Se positionnant en meilleur ami de Londres, Mohammed Ben Salman a fait valoir qu’il y avait d’« énormes opportunités » commerciales entre son pays et le Royaume-Uni au moment où ce dernier est en quête de nouveaux partenaires commerciaux pour l’après-Brexit. « Les Saoudiens peuvent être un lien essentiel pour une nouvelle sphère de partenariat qui ne serait pas tournée vers le passé comme le Commonwealth, a déclaré le ministre de l’énergie Khalid Al-Falih devant des investisseurs britanniques, mais serait tournée vers l’avenir et la démographie du Moyen-Orient, de l’Afrique et du monde musulman, dont l’Arabie saoudite est le cœur ». Grand défenseur du prince, le ministre des affaires étrangères, Boris Johnson, ne figurait cependant pas sur la liste des tête-à-tête approuvée par Mme May.

Au cours de la visite, les deux pays ont dit viser des échanges commerciaux et investissements d’un montant d’environ 65 milliards de livres (73 milliards d’euros) « sur les prochaines années » dans des domaines variés, des services financiers à l’énergie et la défense en passant par l’éducation. Les Britanniques ont aussi plaidé pour que la Bourse de Londres soit préférée à celle de New York lors de l’introduction sur les marchés du géant pétrolier saoudien Aramco.

Mais le voyage princier a surtout marqué un pas vers l’achat par Riyad de 48 avions de combat Eurofighter Typhoon, un contrat potentiel de plusieurs milliards de dollars. Vendredi 9 mars, un protocole d’accord a été signé avec le groupe de défense britannique BAE Systems. L’appareil, grand concurrent du Rafale français, est fabriqué dans le cadre d’un programme conclu entre le Royaume-Uni, l’Allemagne, l’Italie et l’Espagne. Les ventes d’armes britanniques à l’Arabie saoudite sont controversées non seulement à cause de leur utilisation dans la guerre du Yémen, mais aussi depuis une affaire de corruption d’officiels saoudiens dans un énorme contrat datant de 1985. En 2006, le premier ministre d’alors, Tony Blair, a fait clore une enquête à ce sujet après que Riyad eut menacé de stopper la fourniture de renseignements antiterroristes. Selon l’ONG Avaaz, la valeur des exportations d’armes britanniques vers l’Arabie saoudite s’élevait à 1,22 milliard d’euros pour le seul premier semestre 2017.

Rencontre avec le chef de l’Eglise anglicane

Mais le prince Ben Salman n’a pas seulement parlé affaires à Londres : il a rencontré Justin Welby, archevêque de Canterbury. Le chef de l’Eglise anglicane a exprimé sa « douleur » à propos de la situation humanitaire au Yémen, où les Saoudiens sont accusés de prendre les civils pour cibles. L’archevêque a aussi critiqué l’interdiction aux non-musulmans de pratiquer leur foi publiquement en Arabie saoudite sans recevoir de réponse sur ce point. Alors que la pratique de la sorcellerie est punie de mort par Riyad, les Saoudiens vont pouvoir voir les films d’Harry Potter. « Je n’y vois aucun problème si cela est considéré comme un divertissement », a déclaré le ministre du commerce, Majid Al-Qasabi.

Mais la visite princière n’était pas du goût de tous les Britanniques. Tandis que Theresa May a fait part de sa « profonde préoccupation concernant la situation humanitaire au Yémen », le chef de l’opposition travailliste, Jeremy Corbyn, a déclenché la polémique en affirmant au Parlement que « des conseillers militaires britanniques conduisent la guerre ». Ce que Downing Street a démenti.

Des rassemblements de protestation de quelques centaines de personnes ont eu lieu devant Downing Street. « Bas les pattes au Yémen », « MBS devrait être poursuivi en justice, pas invité », criaient les porteurs de pancartes. Devant le Parlement de Westminster, l’ONG Save The Children a installé une statue d’un enfant levant les yeux au ciel au milieu de décombres pour « attirer l’attention sur la violence alimentée, en partie, par les bombes fabriquées au Royaume-Uni ».