Acquérir à un prix imbattable le dernier iPhone, ou un Samsung dernier cri, contre un abonnement longue durée sera-t-il toujours possible ? Farouchement opposé au principe de subventionnement des mobiles, Free (dont le fondateur Xavier Niel est actionnaire à titre individuel du Monde) pense avoir trouvé la martingale pour contrer ce qu’il considère être de la concurrence déloyale, et une violation du code de la consommation.

L’ex-trublion des télécoms a annoncé, vendredi 9 mars, avoir obtenu de la Cour de cassation une décision contre SFR de nature à « remettre en cause la subvention des terminaux mobiles en France ». Free se félicite d’une décision qui va lui donner accès à un marché de 17 millions de clients, jusque-là verrouillé par des subventions.

La Cour de cassation juge en effet que toute opération « consistant à livrer un produit dont le prix est payé par des versements échelonnés, intégrés chaque mois dans la redevance d’un abonnement souscrit pour un service associé », revient à pratiquer un crédit à la consommation. Autrement dit, un forfait subventionné n’est rien d’autre qu’une facilité de paiement. Problème, les offres de crédit sont soumises à une réglementation spécifique, notamment en matière de solvabilité du client, que les opérateurs ne respectent pas. S’ils devaient s’y plier, maintiendraient-ils ces offres agressives ?

Des concurrents rétifs au « bullshit » de Free

L’histoire est loin d’être terminée. Chez Free, on estime que les principes édictés par la Cour de cassation doivent s’appliquer tout de suite, et que la Cour d’appel, qui rejugera l’affaire, devra s’appuyer sur ces dernières conclusions. « L’arrêt de la Cour de cassation rend impossible ce système pourri jusqu’à la moelle”, comme l’a dénoncé dans le passé une association de consommateurs », explique Free dans un communiqué, se référant à des déclarations de l’UFC-Que Choisir de 2012. A l’époque, l’association dénonçait l’addiction des opérateurs pour ce type d’offre, pas nécessairement bénéfique pour le client.

Pas sûr, cependant, que les concurrents obtempèrent si facilement. Officiellement, ils ne commentent pas « une décision de justice », mais tentent de déminer le terrain, dénonçant le « bullshit » du dernier arrivé sur le marché. Tout d’abord, ils pointent que la procédure en appel prendra des années et estiment, en outre, que l’affaire ne concerne que les offres « Carré » de 2011 et 2012 attaquées par Free, soit une poignée de clients.

Pour Stéphane Beyazian, analyste chez Raymond James, si la Cour d’appel confirme le jugement de la Cour de cassation, cela pourrait « en effet aider un peu Iliad [la maison mère de Free] en éliminant l’avantage de capacité de subventionnement des gros ». Le spécialiste des marchés estime qu’Orange détient 23 % des contrats de cette nature. Mais dans la mesure, où ces forfaits concernent les clients haut de gamme, cela représente beaucoup plus en valeur « probablement 40-50 % du marché », conclut M. Beyazian.

Un combat vieux de six ans

Free mène ce combat depuis 2012. Il y a six ans, il avait saisi le tribunal estimant que le subventionnement est en réalité « une facilité de paiement constitutive d’un crédit à la consommation méconnaissant les obligations légales », mais avait perdu plusieurs procédures. A l’époque, l’opérateur faisait ses premiers pas dans le mobile. Prenant à revers la stratégie des opérateurs, et leurs coûteuses subventions, il avait fait le choix de proposer des forfaits sans téléphone, et des smartphones à la location.

Depuis, le marché a beaucoup évolué. Le poids des forfaits subventionnés a sensiblement baissé, passant de quasiment 100 % en 2010 à 33 % en 2016, selon l’Arcep, le régulateur des télécoms. Au départ, les opérateurs offraient des téléphones à 50 euros à leurs clients. Progressivement, le prix des smartphones a explosé pour dépasser les 1 000 euros aujourd’hui. En parallèle, les pratiques des opérateurs ont changé. Pour les amateurs des derniers modèles, ils proposent des smartphones en location, qu’ils peuvent changer tous les ans. Paradoxalement, la décision de la Cour de cassation pourrait aussi donner un coup de pouce à Orange Bank, bien placé pour accorder des facilités de paiement aux clients d’Orange.