Le stade Vélodrome, le 23 février 2018, avant France-Italie. / JEAN-PAUL PELISSIER / REUTERS

Mieux vaut un peu tard que jamais. Le premier ministre, Edouard Philippe, va enfin signer les statuts constitutifs du groupement d’intérêt public (GIP) qui organisera dans le pays la Coupe du monde 2023 de rugby. Signature prévue samedi 10 mars après-midi à Saint-Denis, en préambule du match France-Angleterre, dans l’auditorium du Stade de France.

La Fédération française de rugby (FFR) s’était engagée auprès de la Fédération internationale, World Rugby, à constituer un GIP « dans les 90 jours » suivant sa désignation comme future hôte. Il aura finalement fallu en attendre 115. Et encore : le GIP ne devrait réellement être constitué qu’à partir d’avril, le temps de fixer son premier conseil d’administration qui déterminera l’identité précise de ses membres.

Pourquoi ce retard ? L’Etat a demandé auprès de World Rugby un délai supplémentaire pour vérifier quelques premiers éléments : sur les futurs principes de gouvernance du GIP, mais aussi sur la garantie financière très substantielle que l’Etat a dû fournir à la hâte, par l’intermédiaire de la Caisse des dépôts (171 millions d’euros).

Si l’inspection générale des finances, qui poursuit toujours sa contre-expertise, a déjà donné son aval à la constitution du GIP, des questions demeurent quant au financement de la compétition.

En juin 2017, sept mois après l’élection de Bernard Laporte à la tête du rugby français, la FFR transmettait à World Rugby un épais dossier de candidature. Ces trois volumes, auxquels Le Monde a eu accès, donnent à voir le scénario espéré par la « fédé ». Dans leur hypothèse de travail, les organisateurs ont déjà mis en avant l’implication des municipalités et métropoles… sans même attendre que celles-ci fassent voter à leurs élus les investissements potentiels qui engageraient l’argent du contribuable. Une hypothèse de travail hâtive qui prend de court toute décision des conseils municipaux.

La nouveauté des concessionnaires

Parmi les contributions publiques annoncées dans le document, 21 millions d’euros sont destinés au coût de la location des stades accueillant l’événement. Auxquels s’ajoutent 20 millions d’euros prévus pour les « fanzones » destinées à accueillir les spectateurs hors des enceintes.

Malgré des lettres d’intention envoyées en mars 2017 à la FFR, aucune des villes concernées ne s’est pourtant déjà engagée formellement à verser quelque argent que ce soit. « Le courrier précise bien que toute décision sera soumise au vote du conseil de Bordeaux métropole », indique au Monde la mairie bordelaise, sans préciser de date à venir. « Rien n’a pour le moment été contractualisé », poursuit la Métropole européenne de Lille.

Contacté par Le Monde, Claude Atcher, qui a loué ses services de consultant à la FFR pour coordonner le dossier de candidature, déclare d’abord que cette somme de 21 millions correspond à « une valorisation commerciale » censée quantifier, « à la demande de World Rugby », la mise à disposition gratuite des stades par les collectivités.

Mais les choses ne sont en réalité pas aussi simples. Si bien que M. Atcher, relancé sur la question, finit tout de même par reconnaître « le risque que tous les stades ne soient pas gratuits. » Certaines collectivités pourraient bien avoir à payer l’événement. Plusieurs enceintes retenues pour 2023 appartiennent aujourd’hui à des concessionnaires privés, et non plus à des municipalités. Dit autrement : ces concessionnaires, établis sur la base de partenariats publics-privés (PPP), seraient donc en mesure de demander un dédommagement pour l’exploitation des sites. Une différence fondamentale avec les stades du Mondial 2007, déjà en France.

Un ex-sénateur attendu

Reste à savoir si les collectivités en question accepteront finalement d’assumer les sommes demandées, ou si c’est le GIP qui devra payer ce qu’elles refuseraient de débourser. Plusieurs stades semblent correspondre à pareil cas de figure : le Vélodrome à Marseille (géré par la société Arema), le stade Pierre-Mauroy à Villeneuve-d’Asc (groupe Eiffage), le Matmut-Atlantique à Bordeaux (société Bordeaux-Atlantique) et l’Allianz Riviera à Nice (société Nice Eco Stadium, détenue pour moitié par Vinci Concessions).

Le Groupama Stadium, à Lyon, se trouve dans une situation légèrement différente. Il appartient directement au club de football de l’Olympique lyonnais et à son président, l’homme d’affaires Jean-Michel Aulas.

« Rien n’est joué, on va ouvrir des discussions et des négociations tout à fait franches et directes »

Enfin, le sujet s’annonce plus facile à négocier pour les métropoles restantes, qui ont conservé la latitude sur leurs équipements sportifs : Nantes pour le stade de la Beaujoire, Saint-Etienne pour le stade Geoffroy-Guichard, Toulouse pour le Stadium. Sans évoquer le cas à part du Stade de France, dont l’Etat est propriétaire.

Dans « les deux ou trois mois » à venir, Claude Atcher s’attend maintenant à négocier au cas par cas « sur les conditions finales de mise à disposition » de chaque stade avec les villes et, le cas échéant, les concessionnaires. Entreront en compte, notamment, le nombre de matchs dans chaque stade et les affiches proposées. « Il y a d’abord eu la candidature et maintenant on entre dans une phase de discussions qui est plus technique et financière. On va trouver des solutions, rien n’est joué, on va ouvrir des discussions et des négociations tout à fait franches et directes. »

Mais avant, le GIP devra déjà désigner son président et son directeur général. Le premier devrait être Didier Guillaume, ancien président du groupe socialiste au Sénat. Le second pourrait être Claude Atcher lui-même. L’intéressé garde pour l’instant le silence. La décision appartient au conseil d’administration de ce groupement réparti entre la FFR (52 % des droits et des voix), l’Etat français (37 %), l’association « club des sites d’accueil de la Coupe du monde (10 %), et enfin le Comité national olympique (1 %). Le chantier commence à peine.