Emmanuel Macron et Narendra Modi, samedi 10 mars, à New Delhi. / Jean-Claude Coutausse / french-politics pour Le Mond

La France et l’Inde devaient signer, samedi 10 mars, une cinquantaine de contrats et d’accords de coopération dans les domaines de la science, de l’environnement et du développement urbain, lors de la première journée de la visite d’Emmanuel Macron dans le sous-continent, qui dure jusqu’à lundi 12 mars. L’Elysée revendique la signature de 20 contrats d’une valeur totale de 13 milliards d’euros.

Le contrat remporté par Safran pour la vente et la maintenance des moteurs d’avion de la compagnie aérienne indienne SpiceJet représente, à lui seul, 12 milliards d’euros, selon les chiffres communiqués par l’Elysée. EDF doit aussi annoncer un nouveau protocole d’accord prévoyant la livraison de six réacteurs EPR dans l’ouest de l’Inde, similaire à celui qui avait déjà été signé en 2009. Aucune vente n’a été conclue, mais le calendrier des négociations doit cette fois être précisé. « La marche arrière nous semble impossible aujourd’hui », affirme l’Elysée qui y voit « une étape majeure ». Une petite ville du sud de l’Inde va aussi confier à Suez la distribution de son eau potable ainsi que la modernisation de son réseau. Enfin, Alstom a remporté des marchés de 75 millions d’euros pour plusieurs projets ferroviaires.

Un marché difficile à pénétrer, surtout pour les PME

Malgré la signature de ces contrats, dont certains sont en négociations, les relations commerciales entre la France et l’Inde restent modestes. « Nous pouvons faire bien plus en termes de bons investissements, de commerce et d’ouverture de nos marchés », a reconnu le président de la République française dans un entretien accordé, jeudi 8 mars, à l’hebdomadaire India Today. L’Inde n’est que le 18e client de la France et son 20e fournisseur à l’échelle internationale. A chaque visite d’un chef d’Etat français dans le sous-continent, c’est la même rengaine : la France ne parvient pas à tirer profit du marché indien. En 1967, l’ambassadeur d’Inde se plaignait déjà dans le bureau du général de Gaulle de la faible présence économique française. A l’époque, l’Hexagone ne comptait que huit entreprises sur le sol indien, contre plus d’un demi-millier aujourd’hui…

L’Inde n’est que le 18e client de la France et son 20e fournisseur à l’échelle internationale

Depuis l’arrivée au pouvoir de Narendra Modi, en 2014, le pays a progressé dans le classement Doing Business de la Banque mondiale, qui mesure la facilité d’entreprendre. Mais l’Inde revient de loin. Il faut attendre jusqu’à deux ans pour obtenir un permis ou une autorisation administrative. « Il est parfois difficile d’identifier dans l’administration les bons interlocuteurs, surtout dans les Etats régionaux, or, parfois, ces derniers ne sont pas au courant des règles, car elles changent souvent », reconnaît Payal S. Kanwar, la secrétaire générale de la Chambre de commerce et d’industrie franco-indienne.

45 lois du travail différentes

Dernier exemple en date : la réforme de la taxe généralisée sur la valeur ajoutée, à l’été 2017. Avec des taux différents sur les prix du lait, des noisettes et du beurre, les pâtissiers ne savaient plus quel taux de TVA appliquer à leurs pâtisseries. Les textes réglementaires sont parfois plus longs à lire que les contes épiques indiens. L’Inde possède près de 45 lois du travail différentes au niveau national et plus de 100 dans les différents Etats. Autant dire qu’aucune, ou presque, n’est respectée.

Le pays, qui affiche une des croissances les plus élevées de la planète, est donc un marché difficile à pénétrer, surtout pour les PME. Celles qui décident de s’implanter en Inde arrivent souvent dans le giron de grands groupes ou sont spécialisées dans des technologies à forte valeur ajoutée. L’entreprise française Ciel & Terre va, par exemple, signer un contrat pour la fourniture et l’installation d’une centrale solaire flottante dans le Tamil Nadu, dans le sud du pays.

La plupart des promesses de M. Modi, qui ont redonné tant d’espoir aux investisseurs au moment de son élection, tardent à produire des résultats. Plusieurs secteurs ont été ouverts aux investissements étrangers, mais le programme « Make in India », destiné à développer le secteur industriel, a surtout consisté en une vaste campagne de communication. « La plupart des industries françaises en Inde étaient implantées dans le pays bien avant le lancement de ce programme », constate Payal S. Kanwar. Le secrétaire d’Etat à la défense, Subhash Bhamre, a d’ailleurs admis devant le Parlement indien que les investissements directs étrangers dans le secteur de l’armement n’avaient pas dépassé 180 000 dollars (146 000 euros) entre avril 2014 et décembre 2017.

L’Inde, première importatrice d’armes au monde

De plus, quelques semaines après avoir défendu les vertus du libre-échange au Forum économique mondial de Davos, en janvier, où il avait comparé le protectionnisme à la menace du « terrorisme » ou du « changement climatique », M. Modi avait relevé les droits de douane dans son pays. Les produits concernés – de l’électronique aux pièces automobiles, en passant par les bougies ou les cerfs-volants – devraient surtout avoir un impact sur les importations en provenance de Chine ou d’Allemagne.

Les échanges commerciaux franco-indiens ont doublé au cours des neuf dernières années pour dépasser les 10 milliards d’euros en 2017, et ils sont désormais à l’équilibre entre les deux pays. La hausse des exportations françaises est principalement due à la vente d’avions Airbus et à la signature de contrats de défense. L’Inde, première importatrice d’armes au monde, a acheté à la France six sous-marins Scorpène en 2005 (dont le premier a été livré en décembre 2017), et 36 avions de chasse Rafale en 2016.

Mais l’Elysée veut croire que les deux pays sont « dans une phase de diversification » de leurs échanges. La France espère trouver de nouveaux débouchés dans les secteurs des énergies renouvelables et de la ville intelligente. L’Agence française de développement doit annoncer, samedi, le déblocage d’une ligne de crédit de 100 millions d’euros pour soutenir le programme indien des « Smart Cities ». Plusieurs entreprises françaises, dont Paprec et 3Wayste, vont également signer des contrats de recyclage de déchets. « La France doit devenir le meilleur partenaire de l’Inde en Europe », a déclaré, samedi matin, Emmanuel Macron, à l’issue de la courte cérémonie d’accueil au Rashtrapati Bhavan, le palais de la présidence de la République à New-Delhi.