Officiellement, personne ne prononce le mot. Pas à l’Assemblée nationale, encore moins au gouvernement. Mais la polémique gronde au sein de la majorité : quel usage faut-il faire de la « cagnotte fiscale » ? L’amélioration de la conjoncture a permis une accélération des recettes fiscales de 4,3 milliards d’euros en 2017.

Le gouvernement, lui, a fait volontairement preuve de prudence en maintenant dans la loi de finance rectificative de décembre sa prévision de croissance du PIB à 1,7 % pour 2017, alors que celle-ci s’est finalement élevée à 2 %. Résultat : l’embellie économique place l’exécutif face à un débat qu’il n’avait visiblement pas anticipé. Et qui tombe au plus mal, alors que le gouvernement peine à convaincre sur la question du pouvoir d’achat.

Le ministre de l’économie et des finances, Bruno Le Maire, a tenu un point presse improvisé, vendredi 9 mars à Bercy.

« Ne refaisons pas les erreurs du passé, a mis en garde l’ex-membre du parti Les Républicains. Dès que les choses allaient mieux, on se mettait à redistribuer l’argent public, c’est-à-dire l’argent des contribuables. La meilleure façon de répondre aux attentes des Français, c’est (…) de réduire le déficit, la dette publique. (…) C’est ce qui nous permettra d’avoir une économie française qui tourne mieux, qui créé des emplois pour tous les Français. »

M. Le Maire réagissait aux propos du rapporteur de la commission des finances, Joël Giraud. Dans un entretien aux Echos publié jeudi soir, le député LRM des Hautes-Alpes a estimé qu’on peut « redistribuer une part de [la] bonne fortune fiscale de la France » aux Ehpad et aux territoires en proie à la désindustrialisation, voire aux personnes bénéficiant de minima sociaux. Affirmant que le déficit de la France au titre de 2017 sera meilleur que prévu – « proche de 2,7 % ou 2,8 %, inférieur à l’objectif du gouvernement de 2,9 % » –, M. Giraud propose de « consacrer 80 % [des surplus de recettes fiscales] au désendettement et 20 % à des mesures d’urgence ».

« Ayons ce débat calmement »

A Matignon, l’heure est aussi au déminage. « L’amélioration de la situation de la France est le fruit de notre travail, on ne va pas changer de cap », balaie-t-on. Début janvier, le premier ministre, Edouard Philippe, avait affirmé au Journal du dimanche qu’« il n’y a pas de cagnotte quand depuis quarante ans on dépense bien plus qu’on ne gagne. S’il y a de bonnes nouvelles sur les recettes, ce sera un moyen d’accélérer notre désendettement ».

Au sein de la majorité parlementaire, où l’on tente de minimiser les propos de M. Giraud, on se serait bien passé de cette nouvelle fronde. « Ces 4 milliards, c’est d’abord une manière de réfléchir à la façon dont on allouera les crédits lors du prochain projet de loi de finances [présenté en septembre]. Il n’y a aucun bras de fer avec le gouvernement ! », assure-t-on. « Ayons ce débat calmement, par les véhicules parlementaires classiques », abonde l’entourage de la députée Amélie de Montchalin, porte-parole du groupe LRM à la commission des finances et autre poids lourd de la majorité sur ces sujets.

Ironie du calendrier, le débat ressurgit alors que l’une des principales hypothèques qui pesaient sur le respect des 3 % de déficit par la France en 2017 vient d’être levée. L’organisme de statistiques européen Eurostat a officiellement validé, vendredi, l’étalement entre 2017 et 2018 des 10 milliards d’euros que l’Etat doit rembourser aux entreprises après l’invalidation de la taxe sur les dividendes. Cette décision, attendue à l’origine pour le mois d’avril, devrait, sauf énorme surprise, permettre au déficit français de passer sous les 3 %, comme exigé par les traités européens. De quoi valider les engagements d’Emmanuel Macron en la matière.

« C’est une bonne nouvelle, Eurostat confirme notre analyse et celle de l’Insee que nous soutenions pleinement », se réjouit-on dans l’entourage de M. Le Maire. « On est sur la bonne voie pour sortir de la procédure de déficit excessif », glissait-on vendredi dans les couloirs de Bercy. « Mais on se garde de tout triomphalisme… » Entre bonnes nouvelles économiques et sérieux budgétaire, la marge de manœuvre de l’exécutif semble, ces temps-ci, particulièrement étroite.