« De mon bureau, j’ai vue sur la rue principale. Les lumières sont allumées. Il y a encore de l’activité, ça rassure. On a eu très peur quand les Galeries Lafayette ont lancé leur plan de fermeture de sites dans les villes moyennes », se souvient Caroline Cayeux, maire de Beauvais depuis dix-sept ans. L’enseigne locale a finalement été franchisée. Un soulagement pour l’édile qui, comme de nombreux élus, s’inquiète de voir les emplois « vampirisés » par les métropoles.

Car, si la reprise économique s’est confirmée en 2017, elle n’a pas profité à tout le monde. Selon les chiffres publiés par l’Insee mardi 13 mars, l’emploi salarié a bondi de 0,3 % au quatrième trimestre. Sur la période, 72 700 postes ont été créés, malgré la mauvaise dynamique du secteur public. Au total, 268 800 créations nettes d’emplois ont été recensées en France sur un an.

Contre toute attente, l’industrie, après un long déclin, a vu ses effectifs augmenter, de 6 400 postes au quatrième trimestre. Une première depuis 2001. Le bâtiment enregistre, lui, une hausse de 30 100 postes sur l’année. Pour autant, ce sont les services marchands, grands gagnants des mutations économiques de ces dernières années, qui tirent globalement la hausse de l’emploi salarié. On leur doit, à eux seuls, 225 700 créations nettes de postes en 2017.

Mais l’Hexagone a beau se trouver dans une meilleure santé économique, la fracture territoriale peine à se réduire. « Si l’on caricature, observe Jérôme Fourquet, politologue et directeur du département opinions et stratégies d’entreprise à l’Ifop, nous avons deux France : celle qui profite de l’embellie et celle qui estime rester à quai. Une fracture que nous avons d’ailleurs vu se dessiner lors du second tour de l’élection présidentielle, et qui est toujours là. »

Le tournant des années 2000

La « métropolisation » du travail a en effet bénéficié à certaines agglomérations au détriment de zones rurales et périphériques. Le tournant a lieu au début des années 2000. La croissance de l’emploi, jusque-là diffusée sur l’ensemble du territoire, s’est accélérée dans dix métropoles : Paris, bien sûr, mais aussi Bordeaux, Nantes, Rennes, Toulouse, Montpellier, ainsi que Lille, Lyon, Grenoble et Marseille.

C’est dans ces ensembles de plus de 400 000 habitants que s’installent pour l’essentiel les cadres. Là aussi que se développe le gros de l’économie de la connaissance et des nouvelles technologies. « En 2011, rappelle France Stratégie dans une étude parue fin février, 85 % des ingénieurs de l’informatique, 75 % des professionnels de l’information et de la communication et 69 % du personnel d’études et de recherche y sont localisés. »

A l’inverse, les métiers fragiles restent fortement présents dans les aires urbaines de moins de 100 000 habitants. Ouvriers de la mécanique, du textile et du cuir, caissiers… La plupart sont implantés dans le Bassin parisien hors Ile-de-France, le nord, une partie de l’est et du centre de la France ainsi que dans les territoires agro-industriels de l’Ouest.

La crise de 2008, en précipitant le décrochage des villes moyennes, a accentué cette tendance. Dans les bassins englobant les principales métropoles, l’emploi a progressé de 1,4 % par an en moyenne entre 1999 et 2014, contre 0,8 % sur l’ensemble du territoire. La France de l’emploi s’est polarisée. Résultat : aujourd’hui, les métropoles rassemblent près de 46 % des postes, dont 22 % à Paris et ses environs et 24 % en province.

Mais la prospérité des grandes aires urbaines ne tient pas seulement à la concentration des services : espaces hétérogènes, elles bénéficient du dynamisme démographique de leurs franges. Les couronnes attirent les emplois ouvriers du BTP, du transport et les services aux particuliers. « Les activités logistiques et industrielles trouvent dans l’espace périurbain un cadre propice à leur développement, note France Stratégie : les terrains sont disponibles, le foncier moins cher, il y a moins de congestion urbaine et de contraintes liées à la proximité des lieux de résidence. »

Mutualiser des projets

Les métropoles ne sont toutefois pas toutes logées à la même enseigne. Si Bordeaux, Montpellier, Nantes, Rennes et Toulouse ont pris du poids dans l’emploi national, Nice, Rouen et Strasbourg en ont perdu ces dernières années. Toutes ces villes n’entretiennent pas non plus avec leur environnement direct les mêmes interactions. Grenoble, par exemple, fait moins bien que la région qui l’entoure.

Depuis 2016, l’embellie économique a néanmoins commencé à redistribuer les cartes. Tirés par le secteur automobile, les Hauts-de-France ont, par exemple, enregistré en 2017 un solde net positif de presque 2 000 emplois, selon le cabinet Trendeo. Les usines Sevelnord de PSA à Hordain, de Renault à Maubeuge et de Toyota à Valenciennes se sont remises à embaucher. En Picardie, le fabricant de tracteurs AGCO Massey Ferguson a annoncé qu’il comptait étendre son site de production de Beauvais.

Pour pallier le déclin économique des villes moyennes, l’exécutif pousse depuis 2010 à la constitution de pôles métropolitains. Dans l’Oise, Beauvais, Compiègne et Creil ont suivi cette voie en mutualisant plusieurs projets dans les transports et l’enseignement. « Ça nous permet de drainer plus d’aides du conseil régional face au Valenciennois ou à la région d’Arras, traditionnellement mieux organisés », souligne Caroline Cayeux. La région mise sur l’agroalimentaire. « Cette spécialisation, c’est la clé de la réussite pour nos territoires, assure l’élue. On ne peut pas être bon en tout ! »