Qui a dit que la plus célèbre icône féminine du jeu vidéo n’avait pas le droit de vieillir ? Pas Rhianna Pratchett, fille du romancier Terry Pratchett et scénariste en chef des jeux Tomb Raider (2013) et Rise of the Tomb Raider (2015), qui ont donné un nouveau départ à la série. « J’aimerais écrire une Lara Croft plus vieille, dans la cinquantaine, qui soit grisonnante et lessivée, comme il y en a pour les personnages masculins », explique l’écrivaine au site américain Entertainment Weekly à l’occasion de la sortie du film Tomb Raider, mercredi 14 mars.

« Snake [du jeu “Metal Gear Solid”] a évolué avec les années, tout comme Sam Fisher de “Splinter Cell”. Il a été autorisé à vieillir, et j’aimerais voir ça avec un personnage comme Lara, plus âgée, endurcie par les batailles. Et peut-être qu’elle aurait un autre personnage sous son aile, ce qu’on voit souvent avec les figures de papa dans les jeux – c’est la “papaisation”, comme John dans “The Last of Us” ou Booker dans “BioShock Infinite”. »

Explorer la vulnérabilité

L’auteure, qui n’est plus chargée du scénario de la série, suggère ainsi l’idée que Lara Croft devienne mère – et que davantage de mères soient mises en scènes dans des jeux d’action : « Il y a tant de choses imaginables, tellement d’histoires à raconter, nous ne faisons qu’effleurer la surface. »

Avec le « reboot » de la saga en 2013, Rhianna Pratchett a tiré un trait sur la personnalité d’héroïne intrépide et insouciante qu’affichait l’icône du jeu vidéo depuis ses débuts en 1996. Le film s’inspire de sa vision du personnage :

« Avec cette Lara, je voulais qu’elle soit plus ancrée (…), nous voulions explorer la vulnérabilité et la peur derrière son grand courage… et la voie pour devenir une pilleuse de tombe [tomb raider en anglais]. »

A ses yeux, le jeu Tomb Raider de 2013, qui a été critiqué à sa sortie pour une scène de tentative de viol, a contribué par son succès commercial à rendre les éditeurs moins frileux à l’idée de mettre en scène des femmes comme personnages secondaires (Ellie dans The Last of Us) et principaux (Aloy dans Horizon: Zero Dawn, Chloe Frazer dans Uncharted: The Lost Legacy).

Des héros masculins de plus en plus souvent vieillis

A sa naissance, l’héroïne de Tomb Raider ne devait pas être une icône féministe. « A l’origine du projet, Lara Croft était un homme, plus proche de son modèle, Indiana Jones », rappelait en 2017 Alexandre Serel, auteur de L’Histoire de Tomb Raider (éditions Pix’n Love, 2017). « Si elle est devenue une femme, c’est en grande partie pour se démarquer de la concurrence de l’époque, qui employait des mâles ou des mascottes. »

Depuis quelques années, de plus en plus de superproductions mettent en scène des héros masculins vieillis, voire en situation de paternité, comme Kratos dans le prochain God of War, en s’appuyant sur le vécu des développeurs. « Nous savions que la franchise avait besoin d’un nouveau départ », expliquait l’an passé Aaron Kaufman, porte-parole du studio derrière le jeu, Sony Santa Monica Studio. « Comme Cory Barlog [directeur créatif de God of War 2] en avait été éloigné pendant plusieurs années, il a apporté une vision fraîche, très spécifique, liée à l’épopée d’un père et son fils, et de sa propre relation à son fils, qui a 3 ou 4 ans aujourd’hui. Il venait seulement de naître. »

« Je pense que c’est la progression de l’industrie. Le cinéma le fait beaucoup, les séries aussi, constate Shaun Escayg, directeur créatif d’Uncharted: The Lost Legacy. (…) C’est bien que l’on puisse explorer l’évolution du personnage y compris d’un point de vue physique, sans se dire qu’il est éternel, qu’il sera à jamais jeune, etc. » Un traitement réservé pour l’instant aux personnages masculins.