Les secteurs de l’hôtellerie-restauration et du bâtiment embauchent nombre de réfugiés (en haut), à condition qu’ils aient un titre de séjour. Les adolescents, eux, sont nombreux à errer dans la ville (page de droite, en bas). / Sarah Caron

L’été 2015, la photographe Sarah Caron est arrivée à Tel-Aviv avec un projet en tête : réaliser un reportage sur l’alya de juifs français décidés à s’installer en Israël. Mais son passé l’a rattrapée, elle qui a longtemps suivi le parcours d’immigrés clandestins d’Afrique subsaharienne sur la route accidentée menant à l’Europe. A Tel-Aviv, elle découvre un peu par hasard l’existence d’une vaste communauté érythréenne. Dans son hôtel, le personnel en est originaire. Ce sont aussi les Erythréens et les Soudanais qui font souvent la plonge dans les restaurants du bord de mer. Les Israéliens ont surnommé ces migrants les « infiltrés ».

La distance suggérée par ce mot se retrouve au fil des photos puissantes de Sarah Caron. On y voit se croiser des Israéliens, laïques ou religieux, et ces Africains, sans aucune forme d’interaction. « Les réfugiés que j’ai rencontrés étaient vraiment heureux, ils n’avaient pas de plan B, pas de désir de partir, dit-elle. Mais il est incroyable de voir à quel point ils s’ignorent copieusement, avec les Israéliens. C’est chacun son trottoir. » A partir de 2007, Israël a connu une arrivée massive de migrants africains. En 2012, l’Etat a fait construire une clôture le long de la frontière égyptienne pour empêcher leur arrivée par le Sinaï grâce à des passeurs. Les flux se sont alors taris.

Une cible pour la droite israélienne

Mais quid de ceux déjà entrés ? Le taux d’acceptation des demandes d’asile approche zéro. Les Soudanais, essentiellement venus du Darfour, ne peuvent être expulsés faute de relations diplomatiques entre les deux pays. Les Erythréens, eux, proviennent d’un pays à risques où les droits sont bafoués.

Ces dernières années, la droite israélienne n’a cessé de prendre ces réfugiés pour cible. C’est elle qui a popularisé le terme d’« infiltrés » pour les désigner. Tzipi Hotovely, vice-ministre des affaires étrangères, a été la dernière à s’illustrer dans l’outrance. « Les résidents de l’Etat d’Israël font face au terrorisme des migrants et souffrent de violences », a-t-elle déclaré le 19 février. Début janvier, le gouvernement israélien est passé aux mesures coercitives pour expulser ces quelque 38 000 réfugiés africains de son territoire. Plus question de simple programme d’encouragement au départ. Un ultimatum a été fixé, suscitant de vives réactions de la société civile et des organisations de défense des migrants.

Un aller simple pour le Rwanda

Depuis le 4 février, tous ceux qui cherchent à renouveler leur visa de résidence, valable deux mois, reçoivent une note administrative : ils ont jusqu’au 1er avril pour quitter pour de bon Israël. A défaut, ils seront emprisonnés.

Certains d’entre eux ont d’ores et déjà été incarcérés après avoir refusé de participer à un programme de reconduite vers un pays tiers, le Rwanda. L’administration leur propose 3 500 dollars (environ 2 870 euros), un billet aller et un document de voyage, en leur promettant un accueil et un accompagnement soignés une fois sur place. Mais personne ne croit à ces promesses d’un exil confortable. Après avoir gelé 20 % de leur salaire en mai 2017 jusqu’à leur départ consenti, le gouvernement israélien veut désormais pousser les migrants africains dehors, de gré ou de force.

Pour remplacer cette main-d’œuvre, il se dit prêt à accorder 12 000 permis de travail supplémentaires à des Palestiniens, qui sont aujourd’hui environ 80 000 à venir travailler tous les jours en Israël. Les réfugiés ayant déposé une demande d’asile avant le 31 décembre 2017 seront épargnés jusqu’à l’examen de leur dossier.