Oubliez les insultes. Remisez au placard vos doigts et bras d’honneur. Vos globes oculaires suffisent. Le summum de l’irrévérence se joue parfois à un petit rien. Un regard, une attitude ou une posture peuvent s’avérer plus frappantes et efficaces que n’importe quelle prise de parole courroucée.

La scène s’est déroulée, mardi 13 mars au matin, lors de la conférence de presse du ministre chinois du commerce, en marge de la session parlementaire annuelle de l’Assemblée nationale populaire. Alors que celle-ci est diffusée en direct à la télévision, la journaliste Zhang Huijun, habillée en rouge, interroge le ministre. Le moins que l’on puisse dire est que la – très longue – question d’une quarantaine de secondes, une éternité à la télévision, frôle la courtisanerie.

« La transformation de la responsabilité de la surveillance des biens de l’Etat est un sujet de préoccupation universelle. Par conséquent, en tant que directeur de la Commission de supervision et d’administration des biens d’Etat du conseil d’Etat, quelles nouvelles mesures allez-vous prendre en 2018 ? Cette année marque le 40e anniversaire de la politique de réforme et d’ouverture, et notre pays va encore élargir son ouverture aux pays étrangers. Alors que le secrétaire général du Parti communiste chinois Xi propose l’initiative One Belt One Road, les entreprises publiques ont augmenté leurs investissements dans les pays situés sur l’initiative One Belt One Road. Comment contrôler efficacement les actifs étrangers des entreprises publiques ? Eviter la perte d’actifs ? Quels mécanismes avons-nous mis en place jusqu’à présent, et quel est le résultat de notre supervision ? S’il vous plaît, résumez pour nous, merci. »

A côté de Zhang Huijun, qui travaille pour l’American Multimedia Television, une chaîne de télévision chinoise sise en Californie proche de la chaîne publique chinoise CCTV, Liang Xiangyi s’impatiente, souffle, sourit nerveusement, hausse les épaules. Habillée en bleu, la correspondante du média chinois Yicai inspecte de bas en haut sa consœur, tente de se contenir, et finit par laisser éclater son exaspération à travers un roulement des yeux très théâtral.

L’histoire aurait pu s’arrêter là, sauf que le Web chinois a repéré la scène et s’en est gaussé sur les réseaux sociaux. Des parodies multiples, des dessins ou même des coques de smartphone à l’effigie de la journaliste rebelle ou représentant la scène ont émergé dans les heures qui ont suivi.

全网模仿“全美电视台”女记者提问作秀 蓝衣女记者翻白眼
Durée : 01:23

Nul doute que les fuites de conversations personnelles sur l’application WeChat publiées par le site WhatsonWeibo ont relancé la machine. Lorsque son collègue de Yicai rappelle à Liang Xiangyi qu’elle est filmée en direct et lui demande pourquoi elle a réagi de manière si flagrante, celle-ci répond simplement : « Parce que la femme à côté de moi était idiote. » Zhang Huijun aurait également répondu à un ami sur la même application : « Qu’est-ce qu’elle a à me regarder ainsi celle-là ? »

Reste qu’au-delà de l’inimitié flagrante entre ces deux journalistes se pose une nouvelle fois la question de la censure en Chine. Lorsque la scène est devenue un sujet de conversation sur le gigantesque réseau social Weibo, un équivalent de Twitter en Chine, la recherche de « Liang Xiangyi » ou le terme afférent, « question-asking bitch » (qu’on évitera de vous traduire ici) ont été bloqués, comme l’a repéré le site Free Weibo.

Aussi, selon les collègues de Liang Xiangyi, cités par le South China Morning Post, la journaliste aurait perdu son accréditation, tout comme son compte Weibo, bloqué. Lorsqu’on se souvient que le Parlement chinois a validé, deux jours plus tôt, l’abolition de la limite des mandats présidentiels et que la Toile chinoise est sous étroite surveillance du Parti communiste chinois, les sourires disparaissent aussi vite qu’ils sont arrivés. En un clin d’œil.