Mathilde Aubier

Dans les choix d’orientation, une question ne saurait être éludée : les fonctions auxquelles on se destine risquent-elles d’être dans cinq ou dix ans assumées par des algorithmes ? Dit autrement, cela vaut-il ­encore le coup d’investir cinq années d’une vie pour maîtriser une discipline qui sera mieux exercée par un robot, peut-être moins cher, moins sujet aux sautes d’humeur, plus assidu et presque infaillible, capable de travailler nuit et jour en temps réel, sans exiger de coûteuses compensations ? La question est si urgente que la ministre du travail, Muriel Pénicaud, a commandé un exercice d’anticipation à France Stratégie pour identifier les risques que l’intelligence artificielle (IA) fait courir à l’emploi.

Car il s’agit bien de remplacer l’homme non seulement dans sa capacité à reconnaître et à analyser des données, mais aussi à évaluer une situation. « Il s’agit de l’intelligence artificielle forte, résume Salomé Benhamou, de France Stratégie,par laquelle la machine peut apprendre par elle-même au fur et à mesure des nouvelles données qu’elle analyse, par le deep learning. » Par cette technique, l’algorithme qui ­pilote le robot peut générer des hypothèses et pousser des recommandations personnalisées et circonstanciées. Ainsi l’apprentissage artificiel vise-t-il les démarches cognitives. Des capacités telles que le chirurgien-urologue Laurent Alexandre (chroniqueur au supplément « Science & médecine ») prédit que « quasiment aucune activité humaine ne résistera à l’IA ».

Systèmes automatisés

Dans tous les secteurs, les très grandes organisations investissent massivement dans des systèmes automatisés pour à la fois réduire leurs coûts, accélérer les flux, modifier la prise de décisions pour pouvoir personnaliser leur offre à partir des données de leurs clients. C’est vrai chez tous les gros opérateurs de services, des banques à la grande distribution, en passant par les assurances, les opérateurs télécoms, les énergéticiens, les logisticiens et les acteurs de l’e-commerce, comme les services de réservation de train, d’avion ou d’hôtel.

Ceux-là même qui, au XXsiècle, étaient les plus gros employeurs de diplômés du supérieur. « Cette fois, ce sont toutes les tâches qui étaient assumées par des cols blancs qui se voient menacées, car la machine est plus forte que l’homme dans sa capacité à digérer des informations », reconnaît Mouloud Dey, spécialiste des transformations numériques chez l’éditeur de solutions SAS. Or, explique Olivier Ezratty dans un document publié en ligne en octobre et intitulé « Les usages de l’intelligence artificielle », « les secteurs d’activité qui exploitent le plus l’intelligence artificielle sont ceux qui génèrent le plus de données ».

Banques et assurances

C’est très net dans la banque où, depuis cinq ans, les chatbots gèrent une partie des relations avec les clients de la banque de détail, y compris pour le conseil en patrimoine sur des produits financiers standards. Comme dans l’assurance, la connaissance du client a basculé dans la machine, qui propose des investissements adaptés à chacun. Dans les salles de marché, les automates de trading remplacent de plus en plus les traders, en raison de leur capacité d’arbitrage à la nanoseconde, et ce sur les places du monde entier.

Même les analystes financiers commencent à être remplacés par les algorithmes. Et désormais, ce sont les « fonctions support » des banques qui touchent au contrôle, à l’analyse des risques, au marketing des produits financiers, mais aussi à la rédaction des contrats comme au reporting, à la détection des fraudes comme à l’optimisation fiscale, qui sont en passe d’être adossées à, voire assumées par des systèmes intelligents. Les opérations de commerce international et de clearing sont peu à peu gérées par la technologie Blockchain, qui assure toutes les opérations… C’est dire si l’impact sur l’emploi dans les banques et les assurances s’annonce massif, même si à ce jour personne n’a osé l’évaluer pour ne pas alarmer les syndicats.

Le taux de remplacement des emplois existants est difficile à prévoir

Partout, les fonctions marketing, tirées par le marketing numérique, sont en train d’être traitées par l’IA, qui profile mieux que personne les clients, suit leurs parcours on et off line, leurs humeurs sur les réseaux sociaux, analyse leurs besoins et définit les segments de marché selon des logiques nouvelles qui, s’appuyant sur du machine learning, permettent de faire du microciblage comme des recommandations de produits. Même le recrutement a ses systèmes experts qui, pour « matcher » offres d’emplois et candidats, scrutent les profils d’individus sur LinkedIn et autres ­réseaux sociaux, analysent les CV et lettres de motivation, gèrent parfois même les entretiens par vidéo, en faisant analyser par la ­machine les visages et personnalités.

Pour autant, le taux de remplacement des emplois existants est difficile à prévoir. « Nombre d’annonces de start-up en IA portent sur les proof of concepts et pas forcément sur les solutions déployées à grande échelle », reconnaît Olivier Ezratty. D’autant que beaucoup de promesses n’ont pas été tenues. Dans la santé par exemple, où le fameux Watson d’IBM devait remplacer l’oncologue, on recherche plutôt l’aide au diagnostic à partir d’interprétation d’imagerie médicale et d’analyse de traitements issues d’une multitude de cabinets de praticiens que le remplacement. Et dans ce ­domaine, il y a aussi beaucoup de fantasmes de conjuration. Comme dans la presse, où, ­explique Olivier Ezratty, « la création de contenus consiste surtout à réutiliser des contenus existants créés par de vraies gens ».

Aussi, nombre de ceux qui sortent leur longue-vue pour voir loin pronostiquent que les métiers vont être davantage transformés que remplacés, et qu’ils vont plutôt modifier les organisations que les supprimer. Comme dans les métiers juridiques où l’aide de l’IA a, pour l’instant, surtout facilité la consultation des lois et de la jurisprudence, comme la ­rédaction de contrats standards, tandis que l’optimisation des contrats comme l’analyse prédictive de l’issue des procès n’en sont qu’à leurs balbutiements.

Participez à « O21 / S’orienter au 21e siècle » à Paris

Pour aider les 16-25 ans, leurs familles et les enseignants à se formuler les bonnes questions lors du choix des études supérieures, Le Monde organise la seconde saison d’« O21 / S’orienter au 21e siècle », avec cinq dates. Après Nancy (1er- 2 décembre), Lille (19 - 20 janvier), Nantes (16-17 février) et Bordeaux (2-3 mars), rendez-vous à Paris (samedi 17 et dimanche 18 mars 2018, à la Cité des sciences et de l’industrie).

Dans chaque ville, les conférences permettent au public de bénéficier des analyses et des conseils, en vidéo, d’acteurs et d’experts, et d’écouter et d’échanger avec des acteurs locaux innovants : responsables d’établissements d’universités et de grandes écoles, chefs d’entreprises et de start-up, jeunes diplômés, etc. Des ateliers pratiques sont aussi organisés.

Il reste des places pour O21 Paris ! Entrée libre sur inscription.

En images : les temps forts d’O21, nos conférences pour s’orienter au 21e siècle, à Nancy

Pour inscrire un groupe de participants, merci d’envoyer un e-mail à education-O21@lemonde.fr. L’éducation nationale étant partenaire de l’événement, les lycées peuvent organiser la venue de leurs élèves durant le temps scolaire.