Ce sont quatre pages et huit petits articles qui pourraient paralyser la France. Le « projet de loi pour un nouveau pacte ferroviaire » devait être présenté mercredi 14 mars en conseil des ministres par Elisabeth Borne, ministre chargée des transports. Le premier pas vers un bouleversement profond de la SNCF – et plus largement du rail français.

Esquissée en juillet dernier par le président Macron, détaillée dans le rapport Spinetta et annoncée fin février par le premier ministre Edouard Philippe, la réforme n’est en rien une surprise. Mais le projet présenté contient en germe tout ce qu’il faut pour confirmer les inquiétudes du monde cheminot, grandissantes depuis l’été 2017.

D’abord il y a le fait que le texte – d’une grande concision – est bien un projet de loi d’habilitation, c’est-à-dire un texte autorisant le gouvernement à légiférer non par la voie parlementaire mais par ordonnances. D’ailleurs, la future loi n’est pour le moment pas vraiment écrite : ses articles se contentent de donner des orientations, d’ouvrir des chapitres.

Mais il y a quand même du contenu. En premier lieu – et c’est ce qui fait l’objet de l’article 1 –, il va falloir transformer la SNCF. Le projet de loi entend « améliorer le fonctionnement du groupe public ferroviaire dans le contexte de l’achèvement de l’ouverture à la concurrence des services de transport ferroviaire ». Missions, organisation, gouvernance et surtout la forme juridique du groupe public ferroviaire doivent être repensées, ce qui ouvre la voie à la transformation de l’établissement public actuel en société anonyme par actions.

Les sujets qui fâchent

Et puis, toujours dans ce premier article, on trouve l’un des sujets qui fâchent, à savoir « les conditions de recrutement et de gestion des emplois des salariés du groupe public ferroviaire », autrement dit la disparition du statut de cheminot pour les nouveaux embauchés. On notera que le terme précis de « statut des personnels » n’est pas employé dans le texte de loi proprement dit. Mais la lecture de l’exposé des motifs l’accompagnant ne laisse guère de place au doute : « C’est dans ce cadre que sera notamment confirmé l’arrêt des recrutements au statut des nouveaux agents », peut-on y lire.

Plus rassurant, peut-être, pour les cheminots, il est bien précisé par le législateur que ni le statut public, ni le principe de l’unité sociale de la SNCF ne seront remis en cause et que les contrats de travail actuels se poursuivront en cas de transformation juridique de l’entreprise.

« Une ouverture à la concurrence maîtrisée et progressive »

L’autre grand volet du projet de loi – et plus spécifiquement ses articles 2 à 5 – consiste à organiser l’ouverture à la concurrence ferroviaire conformément aux textes européens qui exigent qu’ait été transposé dans la loi française avant la fin de l’année le « quatrième paquet ferroviaire » qui précise les conditions de la mise en place de cette concurrence dans l’Union européenne.

L’exposé des motifs rappelle donc qu’à la fin de 2020, en France, « toute entreprise ferroviaire disposera d’un droit d’accès à l’infrastructure ferroviaire nationale » et qu’il s’agira « d’organiser une ouverture à la concurrence maîtrisée et progressive sur les services de transport ferroviaires conventionnés par les collectivités publiques, dans le respect des spécificités régionales et des droits des salariés ».

Les termes sont ici relativement prudents, et d’ailleurs, le gouvernement explique que, dans l’ordonnance définissant « les modalités de l’ouverture à la concurrence des services conventionnés » (article 3), il faudra être particulièrement attentif à « la dimension sociale de l’ouverture à la concurrence () pour concilier l’exigence de continuité du service public et la garantie des droits des agents ». Manifestement, le gouvernement a bien en tête que la principale angoisse des cheminots concerne le transfert du personnel SNCF vers une autre entreprise en cas de perte du marché par l’entreprise publique.

Tout reste à écrire

Le dossier est donc mis sur la table mais tout reste à écrire. C’est qu’il faut faire vite pour que, conformément aux exigences européennes, la législation française soit en ordre de marche dans la perspective d’une concurrence ferroviaire complète avant la fin de cette année. C’est d’ailleurs la principale justification du recours aux ordonnances. « C’était le seul moyen d’être sûr que l’affaire serait bouclée en six mois tout en ayant une vraie concertation, dans les semaines qui viennent, concertation qui permettra de nourrir le contenu de la loi au fur et à mesure avec des amendements législatifs débattus au Parlement », explique un proche du gouvernement.

Une méthode qui a jusqu’ici laissé les syndicats plus que dubitatifs. « Mais la concertation est réelle, assure un bon connaisseur du dossier. Elle a permis à l’exécutif d’entendre des arguments des cheminots sur les questions de concurrence en particulier, mais aussi sur d’autres points comme le parcours professionnel des conducteurs, qui tiennent à l’évolution de carrière traditionnelle : trains de banlieue, puis TER, pour finir dans un TGV. »

La question de la dette absente

Reste ce qui n’est pas abordé dans ce projet de loi. Et en premier lieu un (très gros) détail : la question de l’endettement. Il paraît impossible de transformer en société anonyme par actions l’établissement public SNCF Réseau lesté actuellement de 46 milliards d’euros de dettes. Cela signifie-t-il que SNCF Réseau pourrait ne pas changer de statut ? Bercy se résoudra-t-il à accepter une reprise par l’Etat ? Manifestement, cet arbitrage n’a pas encore été rendu. Pourtant, délester la SNCF de ce fardeau serait un élément de nature à rasséréner le peuple cheminot.

L’autre sujet qui ne sera pas traité spécifiquement par les ordonnances est lui par contre évoqué par le gouvernement dans son exposé des motifs. Il s’agit de « l’amélioration de la performance de la SNCF grâce à l’engagement d’une démarche stratégique interne abordant les aspects industriels, managériaux et sociaux », démarche dont la SNCF devait présenter les grandes lignes au gouvernement jeudi 15 mars. Au ministère des transports, on est convaincu que des gisements d’économies considérables résident dans l’amélioration de la productivité du groupe public ferroviaire.