Film sur OCS à la demande

Le Festin de Babette
Durée : 03:23

Le Festin de Babette (1987), de Gabriel Axel, d’après le conte de Karen Blixen, est sorti sur les écrans français en mars 1988, il y a trente ans exactement. Ce film demeure glaçant et poignant dans sa peinture du refus du désir et du plaisir dont témoigne une petite communauté religieuse ultrarigoriste, réunie dans un hameau sinistre de la côte déserte du Danemark.

Leur pudibonderie va être secouée par le défi magnifique, et purement français, que leur lance Babette Hersant (Stéphane Audran, stupéfiante), une réfugiée parisienne qui a été recommandée aux deux filles d’un pasteur défunt et dont elle devient la servante. Alors que cette communarde a tout perdu – dont son poste de chef cuisinière au fameux Café anglais, sur les Grand Boulevards –, Babette apprend qu’elle vient de gagner 10 000 francs à la Loterie française, à laquelle elle souscrit chaque année par l’entremise de son neveu. Cette somme lui permettrait de retrouver une indépendance financière. Mais Babette décide de rester et de remercier ses maîtresses en cuisinant, à l’occasion de l’anniversaire de la mort du pasteur révéré par tout le hameau, un somptueux dîner français dans les règles. La somme entière y sera engloutie.

Dangers de la tentation

La communauté, qui se nourrit de soupe à la bière et de poisson séché, voit, terrifiée, se profiler les dangers de la tentation. La langue est faite pour parler, pas pour jouir, dit en substance un membre de cette austère congrégation, ébaubie devant les cargaisons de victuailles, de vaisselle raffinée et de grands crus arrivées de Paris par bateau.

Filmée comme un orgasme collectif progressivement partagé, la scène du repas demeure l’un des très grands moments de sen­sualité au cinéma. L’une des particularités du Festin de Babette est que son réalisateur a fait ­appel à un compositeur de musique d’avant-garde, Per Norgard (né en 1932), le doyen de la musique contemporaine danoise.

Comme le film, sa partition est taiseuse. Elle s’exprime en séquences courtes, en « ponctuations » atonales et dissonantes, comme au moment où l’on voit, accompagné d’un piano et de quelques cordes, l’officier à cheval gravir une colline. Sur les génériques de début et de fin, Norgard décadre et désintègre une mélopée au piano qui semble s’égarer et se dissoudre dans une spirale chromatique sans fin, qui sied si bien à ce terrain du désespoir qu’est ce hameau.

Réalisation_Gabriel Axel, 1987 / FILMEXPORT GROUP

De nombreux cinéastes japonais (dont Akira Kurosawa) ont fait appel au grand compositeur Toru Takemitsu. Paolo Sorrentino sait placer dans ses films les musiques les plus raffinées – celle d’Arvo Pärt, par exemple, dont My Heart’s in the Highlands, pour contralto et orgue, dans La Grande Bellezza (2013). L’Italien a osé faire entendre, dans la longue séquence finale de sa série The Young Pope (2016), l’intégralité du sublime mouvement lent de Naive and Sentimental Music, du compositeur nord-américain John Adams.

Son compatriote Luca Guadagnino, le réalisateur de Call Me by Your Name (2017), est aussi une très fine oreille : pour Amore (2009), il avait obtenu de John Adams l’autorisation d’utiliser des extraits de ses œuvres pour constituer un extraordinaire patchwork sonore.

Alors que les Oscars récompensent aujourd’hui les auteurs, habiles mais si prévisibles, de soupes musicales aux recettes recuites, il est bon de savoir que ces audaces perdurent. Un vrai festin pour ceux dont l’œil écoute.

Le Festin de Babette, de Gabriel Axel. Avec Stéphane Audran, Bodil Kjer, Birgitte Federspiel, Jarl Kulle, Jean-Philippe Lafont (Danemark, 1987, 100 min).