L’assassinat d’un journaliste secoue la classe politique slovaque
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La crise politique dans laquelle est plongée la Slovaquie, depuis l’assassinat fin février de l’un de ses journalistes, a connu un nouveau rebondissement, mercredi 14 mars. Prenant tout le monde de court, le premier ministre Robert Fico, 53 ans, un populiste de gauche (SMER-SD), a annoncé qu’il comptait proposer sa démission au président de la République. Selon lui, cette décision prouverait qu’il a pris conscience de la gravité de la situation. Vendredi 9 mars, plus de 40 000 personnes ont réclamé son départ dans les rues de Bratislava, la capitale. Selon un sondage, 62 % des Slovaques jugent nécessaire qu’il s’en aille, alors qu’au moment de sa mort, le reporter Jan Kuciak enquêtait sur des liens présumés entre des proches de M. Fico et la mafia italienne.

Pourtant, sa décision ressemble à une manœuvre dilatoire. Car le chef de l’exécutif, qui occupe le pouvoir depuis 2012, après avoir déjà gouverné entre 2006 et 2010, a accompagné son offre de retrait de conditions qui semblent très loin des revendications des manifestants : il exige que son parti reste à la tête du gouvernement de coalition qu’il a mis en place avec l’extrême-droite (SNS) et la formation représentant la minorité hongroise (Most-Hid) après sa réélection, en mars 2016. Il refuse également toute idée d’élections anticipées et entend continuer de gouverner le pays en restant à la tête du SMER-SD et en plaçant une personnalité issue de ses propres rangs, Peter Pellegrini, au poste de premier ministre. Agé de 42 ans, ce dernier est actuellement vice-premier ministre, chargé des investissements.

« Il est de notre devoir de poursuivre le mandat que nous ont confié les électeurs et de ne pas transmettre le pouvoir sans raison valable aux amateurs et aux braillards de l’opposition », a estimé M. Fico, se targuant du soutien de ses deux partenaires, même si la garde des sceaux, Lucia Zitnansla, issue du parti Most-Hid, a fait part de sa décision de démissionner. C’est la troisième ministre slovaque qui quitte ses fonctions depuis le 26 février, date à laquelle le corps de Jan Kuciak, mais aussi celui de sa petite amie, Martina Kusnirova, ont été retrouvés criblés de balles, dans la modeste maison cubique qu’ils rénovaient, à une soixantaine de kilomètres à l’est de Bratislava.

Un scrutin anticipé

Plusieurs ténors politiques appellent désormais le chef de l’Etat, Andrej Kiska, un outsider issu de la société civile, très populaire – et dont les relations avec le premier ministre sont notoirement exécrables – à refuser l’offre faite par M. Fico.

« Changer les hommes n’est pas suffisant pour rétablir la confiance de nos concitoyens en l’Etat et en ses institutions », estime par exemple Igor Matovic, du parti Olano (« Gens ordinaires », conservateurs). Un appel à manifester a également été maintenu pour vendredi. « Cette offre de démission n’est pas la garantie espérée pour une enquête indépendante », affirme l’un des organisateurs, l’étudiant Juraj Seliga. Ce que nous voulons, c’est un scrutin anticipé. »

Si les trois partis qui dirigent actuellement la Slovaquie semblent s’entendre pour gouverner jusqu’à la fin de leur mandat, c’est parce que les derniers sondages disponibles sont catastrophiques pour eux. Ils sont sévèrement jugés pour leur gestion de la crise. Robert Fico a perdu cinq points dans les intentions de vote, par rapport au mois de janvier. Il a été enregistré en train de refuser, de manière très sèche, une interview au site Aktuality.sk, qui embauchait Jan Kuciak. « Ne me dérangez pas !, a-t-il lancé à l’égard d’un confrère du journaliste lui demandant de répondre à ses questions. Vous êtes le dernier à qui j’ai envie de parler. »

Le parti d’extrême-droite SNS est lui aussi en perte de vitesse. L’année dernière, déjà suite à des révélations dans la presse, l’un de ses ministres, soupçonné d’avoir participé à un détournement de fonds européens, avait dû prendre la porte.

Inflitration du cabinet

Une partie des médias du pays se scandalise également d’un rapport de la délégation du Parlement de Strasbourg, dépêchée à Bratislava du 7 au 9 mars. Selon ce document, M. Fico aurait estimé qu’il était « absurde » d’affirmer que la mafia italienne puisse avoir des intérêts dans l’est de la Slovaquie, parce « qu’il n’y a rien là-bas ». Il aurait également rejeté l’accusation d’infiltration mafieuse de son cabinet par le biais de son assistante, Maria Troskova, rétorquant qu’il ne pouvait être tenu pour responsable des activités passées de cet ancien mannequin et rappelant qu’elle s’était depuis mise en retrait.

Pourtant, selon le président de la République, les services de renseignement auraient alerté le gouvernement sur la présence de la mafia italienne autour de Kosice, la seconde ville du pays. Il a réclamé en vain de l’exécutif qu’il fasse preuve de transparence sur les informations qu’il avait en sa possession sur le sujet avant le meurtre.

Concernant l’enquête, un homme d’affaires italien, Antonino Vadala, a été de nouveau interpellé le 13 mars. Il avait été relâché après une première garde à vue. Il fait l’objet d’un mandat européen émis par Rome, car il est poursuivi pour un « délit de trafic de drogue perpétré par un groupe criminel organisé à dimension internationale ». Son nom est cité dans le dernier article inachevé de Jan Kuciak. Selon le journaliste, il aurait été lié en affaires avec Maria Troskova, l’assistante de Robert Fico. A la tête d’un réseau agricole en Slovaquie, il serait surtout connu dans son pays d’origine pour ses liens avec la ’Ndrangheta (la mafia calabraise).