C’était avant l’indignation née des tueries de Columbine, de Sandy Hook ou de Parkland. Avant le National School Walkout du 14 mars, qui a vu des dizaines de milliers d’élèves sortir de leurs établissements pour exiger du président Donald Trump des mesures concrètes contre les armes à feu. Dès la fin des années 1920, marquées par des fusillades au sein du crime organisé, le gouvernement américain a tenté d’encadrer les ventes d’armes à feu. Avec plus ou moins de succès.

Une tentative avortée en pleine guerre des gangs

Le 14 février 1929, à Chicago (Illinois), en pleine période de prohibition (1920-1933), quatre hommes du gang d’Al Capone vident les chargeurs de leurs mitraillettes Thompson et tuent sept membres du gang rival, dirigé par Bugs Moran.

A l’image du fusil d’assaut AR-15 d’aujourd’hui, la mitraillette Thompson, qui se vend alors 200 dollars (environ 3 000 dollars aujourd’hui), est présentée dans les publicités comme « l’arme portable la plus efficace », une arme « anti-bandits ». Elle est le symbole des roaring twenties — les années 1920 —, du jazz, de l’Art déco et du charleston. On la retrouve aux mains des membres des diverses mafias qui s’affrontent pour le contrôle du crime organisé, mais aussi des Incorruptibles, qui les combattent.

Mais en 1929, la guerre des gangs à Chicago se solde par seize fusillades qui conduisent soixante-quatre mafieux à la morgue. Pour enrayer la violence, le président Herbert Hoover décide d’instaurer une loi sur le contrôle des armes. Un espoir douché par le krach boursier : les priorités sont ailleurs.

Une première loi avec l’assentiment de la NRA

C’est le président Franklin Delano Roosevelt qui reprend les choses en main. Face au crime organisé et aux « exploits » de gangsters comme John Dillinger — et après la tentative d’assassinat dont il est la cible en février 1933 —, il comprend que le gouvernement fédéral doit intervenir. 

La mitraillette Thompson devient le symbole des « roaring twenties ». / BRENDAN SMIALOWSKI / AFP

En 1934, il lance le programme A New Deal for Crime, qui inclut le National Firearms Act (NFA), une loi pour empêcher l’achat d’une arme à feu dans un Etat et sa revente dans un autre et qui vise essentiellement les armes utilisées par les gangs (fusils à canon scié, mitraillettes, silencieux). Le texte impose notamment une taxe de 200 dollars sur la revente des armes.

A cette époque, la National Rifle Association défendait le contrôle des armes à feu. Karl Frederick, son président, affirmait devant le Congrès (page 59 du document d’origine, page 61 sur le PDF) :

« Je n’ai jamais cru à l’utilité du port d’arme. J’en porte rarement. (…) Je ne crois pas à l’utilité de porter une arme. Je pense que leur détention devrait être encadrée et qu’ils devraient être enregistrés. »

Les assassinats de JFK et Luther King…

Les assassinats du président John Fitzgerald Kennedy (JFK), en 1963, — avec un fusil acheté par correspondance dans le magazine de la NRA American Rifleman —, du révérend Martin Luther King, en 1968, et de Robert Kennedy, la même année, poussent le président Lyndon B. Johnson à renforcer le contrôle des armes. Avec le Gun Control Act du 22 octobre 1968 (ou GCA), là encore soutenu par la NRA, il interdit la vente de certaines armes par correspondance, la vente d’armes aux mineurs, aux repris de justice, aux fugitifs, aux toxicomanes et aux malades mentaux. Le texte impose aux armuriers d’établir un registre des ventes, sans les obliger à communiquer ces informations aux autorités locales ou fédérales.

En 1972, le Bureau of Alcohol, Tobacco, Firearms and Explosives (bureau de l’alcool, du tabac, des armes à feu et explosifs) est créé et devient le service fédéral chargé de la mise en application des textes sur les armes, les explosifs, le tabac et l’alcool et de la lutte contre leur trafic.

En 1986, le texte est amendé par le Firearm Owners’Protection Act qui interdit la vente d’armes automatiques neuves (qui tirent en rafale) mais lève l’interdiction des ventes d’armes par correspondance.

La vérification des antécédents

Après la tentative d’assassinat de Ronald Reagan, le 30 mars 1981, le Congrès vote le Brady Act (ou Brady Bill), en novembre 1993, qui tire son nom de James Brady, ancien porte-parole de la Maison Blanche grièvement blessé dans l’attentat. Il impose une vérification des antécédents de chaque client potentiel ainsi qu’un délai d’attente lors de chaque achat : c’est le système de fichier national de vérification instantanée du casier judiciaire — le National Instant Criminal Background Check System, ou NICS —, géré par le Federal Bureau of Investigation (FBI).

Le système des « background checks » souffre de carences, notamment en raison de l’actualisation partielle des bases de données. / Brennan Linsley / AP

Dans la pratique, les clients doivent remplir un formulaire chez l’armurier, dont l’activité est homologuée par les autorités fédérales. Celui-ci transmet par téléphone ou Internet ces données au NICS qui vérifie les antécédents judiciaires et psychiatriques de l’acheteur potentiel, avant d’autoriser ou non la transaction. En général, les contrôles ne prennent que quelques minutes, mais peuvent durer jusqu’à trois jours si nécessaire.

Le système souffre de carences, notamment en raison de l’actualisation partielle des bases de données. Enfin, de nombreuses ventes contournent les contrôles fédéraux exigés, notamment sur Internet ou dans les foires itinérantes.

Les fusils d’assaut interdits pendant dix ans

Le 17 janvier 1989, la tuerie de la Cleveland Elementary School, à Stockton, en Californie (cinq élèves sont tués et trente blessés), pousse le président Bill Clinton à signer le Violent Crime Control and Law Enforcement Act, en 1994.

Ce texte, connu sous le nom de Federal Assault Weapons Ban (interdiction fédérale des armes d’assaut), interdit pour dix ans la vente des fusils d’assaut (type AR-15 ou AK-47).

Le moratoire expire en 2004 sans être renouvelé, malgré les efforts de parlementaires républicains et démocrates.

Virginia Tech : les failles dans la vérification des antécédents

Après la tuerie de l’université de technologie de Virginie (Virginia Tech, le 16 avril 2007, qui fait trente-deux morts et vingt-cinq blessés), le Congrès vote le NICS Improvement Amendments Act, qui tente de pallier certains défauts du Gun Control Act de 1968. Les Etats sont invités à partager avec le gouvernement fédéral des informations sur les acheteurs potentiels qui seraient visés par les interdictions du GCA de 1968.

Ainsi, Cho Seung-hui, l’auteur de la tuerie de Virginia Tech, a pu acheter des armes alors qu’une cour de Virginie avait jugé qu’il constituait un danger pour lui-même, une information qu’elle n’avait pas transmis au fichier national de vérification instantanée du casier judiciaire.

La tuerie de Las Vegas, le 1er octobre 2017 (58 morts), a mis les « bump stocks », ces dispositifs permettant à un fusil de tirer en rafales quasi-automatiques au ban des accusés. / LUCY NICHOLSON / REUTERS

Tentative de réguler les ventes des fusils d’assaut

La tuerie de Las Vegas (Nevada), le 1er octobre 2017 (cinquante-huit morts), a mis les bump stocks — dispositifs permettant à un fusil de tirer en rafale quasi-automatique — au ban des accusés. Stephen Paddock, le tueur de Las Vegas, avait équipé douze de ses fusils d’un tel système. Après le massacre, des appels à interdire les bump stocks ont été lancés, mais le Congrès a préféré transmettre le dossier au service fédéral chargé de la mise en application de la loi sur les armes (Bureau of Alcohol, Tobacco, Firearms and Explosives, ou ATF).

Las Vegas : les images prises par les amateurs lors de la fusillade.
Durée : 01:00

L’écho de la tuerie du lycée Marjory Stoneman Douglas

Après la tuerie du lycée Marjory Stoneman Douglas, à Parkland (Floride), les élèves rescapés ont réclamé une interdiction des variantes civiles des fusils d’assaut militaires utilisés dans les derniers grands massacres aux Etats-Unis : outre Parkland (dix-sept morts), des fusils d’assaut ont été utilisés à Sutherland Springs (Texas, vingt-six morts), Las Vegas (cinquante-huit morts), Orlando (Floride, quarante-neuf morts), San Bernardino (Californie, quatorze morts), Newtown (Connecticut, vingt-sept morts) ou Aurora (Colorado, douze morts).

Mais ni les élus républicains ni le président Donald Trump n’ont osé défendre cette proposition pour ne pas s’aliéner la NRA, devenue, à partir de la fin des années 1970, un puissant lobby opposé à l’intervention de l’Etat fédéral dans la régulation des armes à feu et finançant les campagnes du Parti républicain. « On va regarder », a déclaré le président Trump à la sénatrice démocrate Dianne Feinstein, qui lui faisait remarquer la baisse des tueries enregistrées après que le Congrès eut adopté en 1994 une loi bannissant durant dix ans les fusils d’assaut. Ils sont aujourd’hui légaux dans plus de quarante Etats.

Le seul point susceptible d’évoluer est le renforcement du contrôle des antécédents des acheteurs d’armes à feu : comme le montrait un sondage Gallup d’octobre 2017, une vaste majorité des Américains y sont favorables, tout comme le président Trump et des élus des deux bords. L’objectif est de pallier les carences dans les contrôles fédéraux des antécédents judiciaires et psychiatriques des acheteurs avant d’autoriser toute vente d’armes.

Actions locales

Si le gouvernement fédéral rechigne à prendre des mesures, les Etats ont montré qu’ils pouvaient légiférer. Ainsi, en 1989, la Californie a voté une loi restrictive sur les armes d’assaut, le Roberti-Roos Assault Weapons Control Act, amendé en 1999, qui interdit la détention ou le transfert d’une cinquantaine de types d’armes semi-automatiques qui entrent dans la catégorie des armes d’assaut.

Après Parkland, le gouverneur de Floride, le républicain Rick Scott, a signé la « Marjory Stoneman Douglas High School Public Safety Act » / Mark Wallheiser / AP

Le Connecticut, le district de Columbia, le Maryland, le Massachusetts, le New Jersey et l’Etat de New York ont des lois qui interdisent, encadrent ou restreignent la détention des fusils d’assaut.

Après Parkland, le gouverneur républicain de Floride, Rick Scott, a signé la Marjory Stoneman Douglas High School Public Safety Act, une loi qui relève à 21 ans l’âge minimum légal pour acheter une arme à feu, impose un délai d’attente de trois jours pour toute vente de fusils et autorise certains employés d’établissements scolaires à être armés. Mais les élus de Floride ont rejeté la demande des survivants de Parkland d’interdire les fusils d’assaut semi-automatiques.

La NRA, de son côté, a annoncé lancer une procédure juridique fédérale afin de faire annuler la loi.