Vladimir Poutine en meeting en Crimée le 14 mars célébrant les quatre ans du référendum qui a suivi la prise de contrôle du territoire par les forces spéciales russes. / MARIA TURCHENKOVA POUR LE MONDE

La dernière fois que les habitants de Crimée se sont rendus aux urnes pour une élection présidentielle, c’était en 2010, pour élire l’Ukrainien Viktor Ianoukovitch. Ce mercredi 14 mars, quelques milliers d’entre eux se sont rassemblés sur le port de Sébastopol pour écouter Vladimir Poutine, candidat à sa propre succession lors de la présidentielle russe, fixée précisément le 18 mars, jour « anniversaire » de l’annexion de la péninsule ukrainienne par la Russie, ratifiée au Kremlin il y a quatre ans, le 18 mars 2014.

L’attente, meublée par des groupes musicaux russes, a été longue sur cette place Nakhimov, avant que le chef du Kremlin surgisse en début de soirée sur la scène pour s’adresser à la foule, pendant moins de deux minutes. « Il y a quatre ans, vous avez pris une décision historique », a-t-il lancé en s’appuyant sur le référendum organisé le 16 mars 2014, non reconnu par la communauté internationale, qui a suivi la prise de contrôle du territoire par les forces spéciales russes. « Vous avez montré au monde entier ce qu’est une vraie démocratie et non une démocratie de façade », a poursuivi Vladimir Poutine, avant de lancer, le geste accompagnant la parole : « Je vous serre fort dans mes bras. » Puis il s’en est allé.

Pas un mot sur l’affaire Skripal, du nom de l’ancien colonel du GRU, le renseignement militaire russe, empoisonné, ainsi que sa fille, sur le sol britannique. Rien sur les soupçons qui pèsent sur Moscou après cette tentative d’assassinat par un gaz innervant ni sur les sanctions annoncées par Londres, mercredi 14 mars. Seul le ministère des affaires étrangères russe a réagi en dénonçant une « provocation grossière sans précédent » et « antirusse ».

Impossible de recevoir de l’argent de l’étranger

Les sanctions, pourtant, les Criméens connaissent. Nombre de fonctionnaires, hier de nationalité ukrainienne, aujourd’hui russe, ne peuvent plus se rendre à l’étranger. « Je figure sur toutes les listes noires, y compris australienne », concède Mikhaïl Malichev, le président de la Commission électorale de Crimée pour l’élection du 18 mars, qui occupait la même fonction lors du référendum de 2014. Il est toujours impossible à tous les habitants de recevoir de l’argent de l’étranger. Pas plus que les transferts, les cartes bancaires Visa ne fonctionnent. Les croisières sur la mer Noire ne charrient plus leur lot de touristes. Et franchir la nouvelle frontière avec l’Ukraine nécessite quarante minutes d’attente au minimum, et jusqu’à neuf heures comme ce fut le cas avant les fêtes de fin d’année. Quatre ans après l’annexion, la péninsule reste coupée du monde, sans autre choix que de s’habituer à son statut de paria.

En Crimée le 14 mars pendant le meeting célébrant les quatre ans du référendum qui a suivi la prise de contrôle du territoire par les forces spéciales russes. / MARIA TURCHENKOVA POUR LE MONDE

« Bien sûr, c’est douloureux », soupire Ekaterina, 42 ans. Venue en « groupe organisé » avec ses collègues, cette médecin confie sa lassitude. « J’ai été soviétique, ukrainienne la majeure partie de ma vie, puis russe. Ma patrie, c’est la Crimée, je n’ai plus envie de la voir associée à un pays, dit-elle en secouant la tête. Il y a trop d’attention portée aux armes. Regardez derrière moi, les Cosaques, ça ne me plaît pas… On ne peut pas être en permanence dans la préparation de la guerre ! » La dernière crise diplomatique avec le Royaume-Uni l’inquiète encore un peu plus : « Les nuages s’amoncellent au-dessus de la Russie. »

« Le monde entier ne fait plus confiance aux Russes »

Comme Ekaterina, une majorité de Criméens ont conservé leur passeport ukrainien en plus de leur nouvelle identité russe. Cette double nationalité leur permet de continuer à rendre visite à leurs familles restées en Ukraine, dont ils sont séparés depuis 2014. Elle leur offre aussi la possibilité de voyager en Europe, depuis la suppression, en juin 2017, des visas Schengen pour les ressortissants ukrainiens. Quoique le Royaume-Uni ne fasse pas partie de l’espace Schengen, quoique les Ukrainiens ne soient pas concernés, chacun redoute plus que tout un conflit avec l’Europe.

Place Nakhimov, parmi les marins de la flotte de la mer Noire, on agite les drapeaux, on fredonne quelques chansons, on vante un niveau de vie supérieur à ce qu’il était « avant ». Mais l’euphorie d’il y a quatre ans, manifeste alors chez une bonne partie de la population, est retombée. « Qu’est-ce que je peux dire ? Peut-être qu’il y aura de nouvelles sanctions… C’est la Russie contre l’Occident, ça a toujours existé », tente de philosopher Andreï, un militaire en civil, venu en famille. « Du moment qu’il n’y a pas la guerre ! », l’interrompt son épouse. « Oui, mais le monde entier ne fait plus confiance aux Russes », reprend Andreï.

« Je pense que notre pays n’est pour rien dans cette histoire en Angleterre, mais ça m’inquiète », affirme Aliocha, un étudiant de 23 ans. Valentina, fonctionnaire, a un autre avis sur la question : « C’est une affaire bien concrète, et personne ne sait comment ça va se développer. »