Didier Valet, l’un des trois directeurs généraux délégués de la Société générale (ici en 2009), quittera le groupe vendredi 16 mars. / PATRICK KOVARIK / AFP

La justice américaine a le bras long. Très long. La Société générale a annoncé, mercredi 14 mars, le départ de Didier Valet, 50 ans, l’un de ses trois directeurs généraux délégués, mais en réalité le véritable bras droit et l’homme de confiance du directeur général Frédéric Oudéa, celui qui aurait pu lui succéder. « C’est une très grosse perte », déplore un proche de l’institution financière. A l’ouverture jeudi, son cours de Bourse baissait de plus de 3 %.

Ce départ – à effet quasi immédiat, car M. Valet doit faire ses cartons vendredi – est accompagné d’une explication obscure : « à la suite d’une différence d’appréciation dans la gestion d’un dossier juridique spécifique du groupe, antérieur à son mandat de directeur général délégué, Didier Valet, soucieux de préserver l’intérêt général de la banque, a présenté sa démission ».

Plusieurs litiges

En fait, M. Valet était depuis plusieurs mois dans le viseur de la justice américaine à la suite d’une enquête concernant le Libor, le taux interbancaire londonien. Beaucoup avaient remarqué que le dirigeant ne se rendait plus aux Etats-Unis, une destination obligée pourtant quand on dirige la banque de financement et d’investissement…

Selon nos sources, le départ de M. Valet a été imposé par les autorités judiciaires américaines, coutumières du fait. Dans le cadre de l’accord conclu en mai 2014 avec BNP Paribas concernant la violation des embargos américains, qui s’était traduit par une amende pharaonique de 9 milliards de dollars (7,3 milliards d’euros), des membres de l’état-major de la première banque française avaient été aussi débarqués.

Outre le Libor, la Société générale négocie avec la justice outre-Atlantique pour régler deux autres litiges. Comme BNP Paribas, Deutsche Bank ou le Crédit agricole avant lui, l’établissement fait d’abord l’objet d’une enquête de l’OFAC, le bureau du Trésor américain qui gère les sanctions financières à l’encontre de ceux ayant contourné les embargos américains à l’encontre de l’Iran, Cuba ou le Soudan. Ensuite, il doit répondre à des accusations de corruption concernant ses opérations avec le fonds souverain libyen Libyan Investment Authority (LIA).

« Débloquer les dossiers libyen et Libor »

Depuis des mois, la justice américaine maintient la banque sous pression alors que M. Oudéa rêve de tourner la page au plus vite. Mais le passé est récalcitrant. La Société générale a ainsi déjà versé 963 millions d’euros en mai 2017 au LIA pour mettre fin à des poursuites engagées par ce dernier pour des transactions réalisées entre 2007 et 2009.

« Le départ de M. Valet va permettre de débloquer les dossiers libyen et Libor. Les provisions déjà passées devraient couvrir le montant des amendes », assure un proche du dossier. Restera l’affaire de l’OFAC, très limitée selon cette source : la Société générale est pointée du doigt pour avoir accordé un crédit de 26 millions de dollars à un trader faisant du négoce notamment avec Cuba.

Dans ce maelström, l’affaire du Libor reste à part. Il ne faut surtout pas la confondre avec les scandales qui ont déjà entaché le taux londonien et son cousin Euribor, avec de lourdes sanctions pour nombre d’établissements – dont la Société générale – et des peines de prison infligées en juillet 2016 à quatre anciens de Barclays. La justice de part et d’autre de l’Atlantique avait alors démantelé un réseau de tradeurs indélicats qui, au milieu des années 2000, trichaient sur le Libor afin d’améliorer leurs bonus.

Une stigmatisation potentiellement mortelle

Pour comprendre ce que les Etats-Unis reprochent désormais à la Société générale, il faut se rappeler comment fonctionne le Libor. Ce thermomètre du marché monétaire est déterminé chaque jour à Londres à partir des déclarations des banques partenaires qui indiquent à quel taux elles empruntent au jour le jour.

La Société générale est accusée d’avoir minoré, entre mai 2010 et octobre 2011 ses déclarations quotidiennes, afin de ne pas apparaître fragilisée durant la crise de l’euro en révélant qu’elle empruntait plus cher que ses concurrents, signe d’une défiance de la communauté financière. Une stigmatisation potentiellement mortelle…

En août 2017, la justice de l’Etat de New York a inculpé deux salariées de la trésorerie la SocGen, Danielle Sindzingre et Muriel Bescond. Ce sont elles qui déterminaient au sein de la banque les estimations transmises à Thomson Reuters, le gestionnaire du Libor. La justice américaine les accuse d’avoir « délibérément » donné des estimations basses concernant le Libor en dollar.

« Ethique irréprochable »

Si la trésorerie dépend de la salle des marchés, elle est copilotée par la direction financière. Or, M. Valet était directeur financier de la banque entre mai 2008 et décembre 2011. Il a participé à des réunions où ces questions ont été évoquées. Pour la justice américaine, c’est impardonnable. Ironique quand tout le monde à Paris loue « l’éthique irréprochable » de M. Valet. Comme toute la Société générale salue également l’éthique et la loyauté de Mme Sindzingre, dont l’éviction a miné le moral des troupes…

M. Oudéa va prendre en charge directement la Banque de financement et d’investissement en attendant de trouver un remplaçant à M. Valet. Pas simple. L’an dernier, Christophe Mianné, figure historique des marchés de la banque, qui aurait pu faire figure de successeur, avait été prié de faire ses valises.

En réponse à cette crise, selon nos sources, le conseil d’administration a d’ores et déjà assuré M. Oudéa, dont le mandat arrivait à échéance en 2019, de son renouvellement.