Le président de Guinée équatoriale, Teodoro Obiang Nguema Mbasogo, à Santa Cruz,  en Bolivie, en novembre 2017. / David Mercado / REUTERS

Etrangement, il ne s’est pas décomposé lorsque son nom a été publiquement lâché, le 10 mars, sur les ondes de la Radio-Télévision de Guinée équatoriale. Ce jour-là, le Français Dominique Calace de Ferluc, 72 ans, est désigné par le procureur général de ce pays pétrolier d’Afrique centrale comme l’un des personnages clés de la tentative déjouée de « coup d’Etat » menée en décembre 2017.

N’importe quel Parisien aurait sursauté, pris peur ou la fuite, se serait empressé de se rapprocher des autorités françaises. Lui se contente de se défendre. « Je n’ai pas vraiment été informé du coup d’Etat, mais je savais que des opposants préparaient des manifestations, affirme depuis la capitale française Dominique Calace de Ferluc, joint au téléphone. A la suite de mes rencontres fréquentes avec des opposants en exil à Paris, ils ont estimé pouvoir me salir. Mais je ne connais pas les autres accusés. »

Deux autres « putschistes » présumés sont également cités : Mahamat Kodo Bani, un ancien membre de la garde présidentielle tchadienne, radié de l’armée et passé par diverses rébellions au Soudan et en Centrafrique, ainsi qu’un militaire centrafricain, Ahmed « Dada » Yalo, frère d’un proche du président Faustin-Archange Touadéra.

« Tentative d’invasion de mercenaires »

Les faits remontent à Noël 2017. Le président équato-guinéen, Teodoro Obiang Nguema Mbasogo, se trouve dans son somptueux palais de Koete, construit dans sa ville natale de Mongomo, non loin des frontières du Gabon et du Cameroun. A moins de 80 kilomètres de là, dans la dense forêt tropicale, des « mercenaires » tchadiens venus de l’Extrême-Nord du Cameroun et des Centrafricains dépêchés des environs de Bangui sont repérés.

Dès le 24 décembre, les services de sécurité camerounais signalent des mouvements suspects à la frontière. Les « mercenaires » disposent de complicités au sein des communautés de Mongomo, selon les relevés d’interceptions téléphoniques. L’objectif de cette opération est désormais clair pour Yaoundé et pour Malabo : éliminer le président équato-guinéen et prendre le pouvoir. Mal ficelé, le projet échoue. Plusieurs cargaisons de fusils, de lance-roquettes et de munitions sont interceptées. Des dizaines de suspects sont arrêtés, dont le chef présumé de l’opération, Mahamat Kodo Bani, et Ahmed Yalo, au Cameroun.

« C’était une tentative d’invasion de mercenaires. C’est très grave et inadmissible que des mercenaires cherchent à déstabiliser un pays africain », avait déclaré au Monde le chef de l’Etat guinéen, Alpha Condé, alors président de l’Union africaine. Les tentatives de coup d’Etat rythment l’histoire récente de la Guinée équatoriale. La dernière en date remonte à 2004, cornaquée par le mercenaire britannique Simon Mann et le Sud-Africain Nick du Toit.

Cette fois, l’opération aurait été en partie préparée depuis la France. Les services de sécurité équato-guinéens disent en avoir acquis la certitude, après des enquêtes menées avec leurs homologues camerounais et tchadiens et étayées par des interceptions téléphoniques ainsi que par des interrogatoires de « mercenaires » arrêtés à la frontière. C’est là que Dominique Calace de Ferluc entre en scène.

Du pouvoir à l’opposition

Le monsieur conserve un ton, une voix et un certain style « ORTF ». En bon disciple du célèbre producteur Jean Thévenot (1916-1983), il est resté l’un de ces « chasseurs de son », du nom de la mythique émission radiophonique et de l’association d’amateurs chevronnés d’enregistrements insolites qu’il préside aujourd’hui. Avec son air patelin, ses cheveux gris-blanc soigneusement peignés et ses petites lunettes aux verres fumés, Dominique Calace de Ferluc cultive son allure de paisible ingénieur du son à la retraite, nostalgique de ses belles années au service de ce qui est devenu Radio France.

Dominique Calace de Ferluc, lors d’un déplacement en Chine. / worldwidehotel.cn

Ce Parisien ordinaire n’est pourtant pas inconnu du pouvoir équato-guinéen. Celui-ci a eu recours à ses services dans le passé, mais pas pour ses compétences radiophoniques. Egalement à la tête d’un obscur think-tank « fondé en 1976 », l’Institut social de France et de l’Union européenne, Dominique Calace de Ferluc admet sans louvoyer avoir autrefois cru à la volonté de changement affichée par le régime de Malabo, au point d’avoir réalisé un publireportage agrémenté d’un entretien avec le chef de l’Etat. Le tout a été publié en mars 2008 dans la revue de son institut, une coquille vide qui dépend de donations et du bon vouloir de bénévoles.

Cela lui vaudra d’être recruté par l’ambassade de Guinée équatoriale à Paris. Il se dit et se pense missionné en personne par le président Obiang Nguema Mbasogo pour négocier le retour d’opposants en exil. A Paris, il fait fonction, quatre ans durant, de conseiller pour les médias et de rédacteur en chef de la revue de l’ambassade. Une expérience qui se soldera par un litige devant les prud’hommes.

Jusque-là, M. Calace de Ferluc ne trouvait rien à redire à la gouvernance de ce pays dont les richesses sont accaparées par la famille au pouvoir depuis 1979. Soudainement lucide sur la nature de ce régime broyant les dissidents, qu’il a servi de bonne grâce, le voilà qui se jette dans les bras de l’opposition en exil et se met à la conseiller dans l’espoir de la structurer.

« Réunions préparatoires à Paris »

Fils de magistrat, lui-même diplômé en droit, il dit avoir contribué à la rédaction des statuts de la Coalition pour la restauration d’un Etat démocratique en Guinée équatoriale (Cored), une coalition d’opposants et de partis politiques en exil menée par le virulent Salomon Abeso Ndong, qui a passé deux ans en prison à Malabo au début des années 2000. Ce dernier dément toute implication de M. Calace de Ferluc dans la création de la Cored : « On lui a parfois demandé des conseils, rien de plus. »

Dès le 23 janvier 2018, des premiers éléments ont été transmis aux autorités françaises dans le cadre de la demande d’entraide judiciaire dont Le Monde Afrique a pris connaissance. Ce document de six pages livre un pan de la version équato-guinéenne sur cette « invasion mercenaire et terroriste », qui se base notamment sur les interrogatoires d’Onofre Otogo Ayecaba, 40 ans, et de Hector Santiago Ela Mbang, 36 ans.

Tous deux ont été interpellés le 29 décembre après avoir été en contact téléphonique régulier avec, entre autres, Salomon Abeso, le leader de la Cored. « Le contenu des conversations ne laisse aucun doute sur son implication », peut-on lire dans le document. « Je suis même en contact avec des ministres. Cet Hector s’occupe de jeunes, il est de ma région la même que le président et, oui, on échange », balaie M. Abeso.

Selon le récit des services de sécurité, à prendre avec prudence car les déclarations ont probablement été obtenues sous la contrainte, M. Otogo Ayecaba et M. Santiago Ela Mbang ont admis avoir participé à « au moins deux réunions préparatoires […] durant les mois de septembre et de novembre 2017 » à l’hôtel Pullman de Paris-Bercy, où ils ont séjourné. Parmi les personnalités présentes, figurerait un mystérieux « conseiller » français à qui auraient été remis 500 000 euros en espèces destinés à financer le « coup d’Etat », selon le procureur de Guinée équatoriale, qui n’apporte pas de preuves pour l’instant. M. Calace de Ferluc reconnaît avoir participé à ces « réunions politiques » mais dément « avoir vu ou perçu » une telle somme.

Le courrier qui intrigue

Etonnant personnage que ce septuagénaire jeté dans les eaux troubles d’une opposition opprimée sur place et contrainte à l’exil, où tous les coups, même tordus, sont permis. Est-il l’un de ces farfelus français épris de politique africaine, l’un de ces vieux intrigants déclinants qui tentent d’exister et de s’occuper dans un univers de manipulation masquée par une atmosphère de fraternité feinte ? Ou cache-t-il assez bien son jeu pour dissimuler une face plus sombre ? « Je n’exclus pas que certains membres de l’opposition se soient servis de moi », se contente-t-il de répondre.

Dominique Calace de Ferluc a peut-être fait une erreur. Le 26 décembre, alors que la tentative de « coup d’Etat » a échoué, il adresse par DHL à Onofre Otogo Ayecaba et à Hector Santiago Ela Mbang une lettre à en-tête de son institut destinée à l’ambassade de France en Guinée équatoriale. Il y exhorte le Consul de France à leur délivrer, dans l’urgence, des visas pour participer à un « séminaire de formation de cadres dirigeants » prévu à Paris le 4 janvier. Il joint au courrier des billets d’avion Air France et une réservation d’hôtel.

Ce pli est intercepté par les services de sécurité équato-guinéens qui détiennent les deux hommes, soupçonnés d’avoir œuvré pour les « putschistes » sur place. « Ça prouve que je suis de bonne foi, car si j’avais su qu’ils avaient été arrêtés je ne leur aurais pas envoyé cette lettre », se défend le Français. Il renvoie vers une note écrite qu’il transmet par e-mail et qui reprend la rhétorique de l’opposition radicale fustigeant le régime, évoquant des « charniers » et des « crimes contre l’humanité » en Guinée équatoriale, comparant cette « tentative de déstabilisation » à un complot ourdi pour « éradiquer l’opposition ».

Pour le moment, Dominique Calace de Ferluc assure ne pas avoir été approché par les autorités françaises. La demande de coopération adressée par la Guinée équatoriale à la France n’a pas encore donné lieu à une quelconque transmission d’informations. Contacté, le Quai d’Orsay n’a pas souhaité réagir. Les relations entre les deux pays se sont encore un peu détériorées avec la condamnation du vice-président et fils du chef de l’Etat, Teodorin Obiang, dans l’affaire dite des « biens mal acquis » en octobre 2017. C’est dans ce contexte de tensions diplomatiques exacerbées que Malabo réclame des enquêtes, entre autres, sur cet étonnant « conseiller » qui semble tout droit sorti d’une autre époque.