Devant le collège de Cambridge où enseignait Stephen Hawking, mercredi 14 mars. / AFP / Tolga AKMEN / TOLGA AKMEN / AFP

Chronique. Diplômé de Sciences Po et étudiant en master de littérature à l’Ecole normale supérieure et à la Sorbonne, Pierre-Yves Anglès raconte son semestre à l’université de Cambridge en Angleterre.

Mardi soir 13 mars, en fêtant l’entrée en doctorat de Tomasz, un ami polonais autour de quelques verres, nous nous sommes demandé quelles personnalités britanniques nous admirions le plus. Tomasz, pourtant étudiant en cinéma, a cité Stephen Hawking, pour son génie et sa ténacité face au handicap. Il n’était pas le seul, d’autant que lui comme plusieurs des camarades présents étudient au collège de Gonville et Caius, auquel l’astrophysicien était rattaché. Coïncidence malheureuse : le lendemain matin, mercredi, nous apprenions la mort d’Hawking, à l’âge de 76 ans, chez lui à Cambridge, où il vivait depuis qu’il avait rejoint l’université pour faire sa thèse, en 1962.

Personne ne semblait vraiment s’attendre à sa disparition. Ne lui avait-on pas prédit, en 1963, qu’il ne lui restait plus que deux années à vivre ? Cet été, Cambridge l’avait célébré à l’occasion de son 75e anniversaire, et Hawking avait reparlé de ce pronostic, et qu’une fois son espérance de vie passée, « chaque jour gagné était un bonus ». Une autre amie du collège de Gonville et Caius se souvient cependant qu’elle ne l’y a pas vu lors des dîners formels organisés depuis la rentrée, alors qu’il y participait en 2017. Sa santé avait donc dû se détériorer.

Livre de condoléances pour Stephen Hawking, à Cambridge. / TOLGA AKMEN / AFP

Aussitôt sa mort annoncée, l’université de Cambridge a mis ses drapeaux en berne. L’un des esprits les plus brillants des dernières décennies vient de s’éteindre, et avec lui un immense motif de fierté pour toute l’université. Celle-ci a notamment partagé cette vidéo en sa mémoire. Les étudiants ont massivement écrit des hommages au professeur sur les réseaux sociaux. Certains ont déposé des bouquets de fleurs devant le portail d’entrée. Et ils sont venus nombreux, ainsi que des collégues et professeurs, écrire un mot sur le cahier de doléances ouvert dans la chapelle du collège de Gonville et Caius. Lors de mon passage, un deuxième cahier avait déjà été nécessaire. Les messages montraient combien Hawking était une figure tutélaire et fédératrice au sein de l’établissement.

Sur Trinity Street, les camions de télévision garés rappelaient la célébrité du scientifique dans le monde entier. Le livre Une brève histoire du temps : Du Big Bang aux trous noirs, qu’il avait publié en 1988, s’est par exemple écoulé à plus de 10 millions d’exemplaires dans le monde. Son génie réside aussi dans sa vulgarisation rigoureuse de l’astrophysique et de la cosmologie. Etre considéré comme un promoteur honnête des sciences n’a rien d’évident dans un milieu de la recherche rarement bienveillant avec les médias et averse aux simplifications.

La mise en ligne de la thèse d’Hawking a saturé le site Internet de toute l’université

Pour comprendre le phénomène Hawking, et parce que mes souvenirs en physique se résument à tracer des flèches pour représenter la force d’un bonhomme poussant un caddie, j’ai fait appel à mon voisin Harry, étudiant au sein même de son département, celui de physique théorique et de mathématiques appliquées. C’est l’une des chances extraordinaires de la vie en collège : avoir un astrophysicien, un médecin ou une criminologue avec qui discuter.

Harry, l’ami de Pierre Yves-Anglès qui lui explique l’astrophysique. / Pierre-Yves Anglès

Harry m’a confirmé que les travaux de « Stephen », car il l’appelle par son prénom, étaient révolutionnaires et que ses premiers articles nourrissaient encore la recherche contemporaine. Il m’a raconté que l’an dernier, le nombre prodigieux de connexions lors de la mise en ligne de la thèse d’Hawking a saturé le site de toute l’université. Il le considère comme « le meilleur physicien à ne pas avoir reçu de prix Nobel », et déplore que cette distinction ne lui ait pas été accordée.

Harry n’a pas eu Hawking comme enseignant, et je n’ai pas réussi à savoir jusqu’à quand précisément celui-ci a assuré des cours. Mais nombreux sont ceux qui l’ont cotoyé. Mardi matin même, lors d’un cours sur la grande spécialité d’Hawking, les trous noirs, son professeur Jorge Santos avait ainsi du mal à contenir son émotion. Harry connaît aussi des post-doctorants qui avaient Hawking pour tuteur. Selon eux, il était très difficile de le voir en rendez-vous : outre sa maladie, il était un grand voyageur et continuait à publier des articles scientifiques. Tous s’accordent pourtant à dire que son esprit était d’une précision déconcertante et qu’il avait un humour corrosif.

Sa ténacité suscite une admiration unanime

Au-delà de son travail scientifique, c’est aussi la personnalité d’Hawking qui est saluée à Cambridge. On se souvient de son tacle au président Trump après que celui-ci ait quitté l’accord de Paris contre le réchauffement climatique. On parle aussi de son fauteuil tournant en cercle sur la piste de danse du collège de Gonville et Caius lors d’une valse. Son travail de sensibilisation pour faciliter l’intégration des personnes handicapées a également marqué les esprits. En 2012, il avait participé à la cérémonie d’ouverture des Jeux paralympiques de Londres.

« Nous sommes juste une race avancée de singes sur une planète mineure d’une étoile très moyenne. Mais nous pouvons comprendre l’Univers. Cela fait de nous quelque chose de très spécial », a déclaré Hawking et il est étourdissant d’imaginer qu’une seule boîte crânienne et un corps soumis à tant de d’épreuves se soient attaqués à de telles immensités. Harry pense que c’est sa vigueur intellectuelle et sa soif de découverte qui ont gardé Hawking en vie. Sa ténacité suscite une admiration unanime, y compris pour ses déclarations sur l’amour ou sa famille. S’il a tant inspiré, c’est sans doute parce qu’il n’avait renoncé à rien.