Le magasin Toys’R’Us à Times Square, à New York, le 9 mars 2018. / EDUARDO MUNOZ / REUTERS

Elle semble bien loin, l’époque où le « leveraged buy-out » (LBO) était encore synonyme de baguette magique. Ce montage financier, qui a connu son heure de gloire avant la crise financière de 2008, est désormais plus souvent synonyme de miroir aux alouettes. On le tient volontiers pour responsable des difficultés économiques et des faillites des entreprises qui y ont recouru – la dernière en date étant Toys’R’Us, qui a annoncé, mercredi 14 mars, la liquidation de la quasi-totalité de ses 1 500 magasins à travers le monde.

Le LBO expliqué avec des gâteaux

Pour comprendre le fonctionnement du LBO, prenons le cas imaginaire de l’entreprise Décodus, filiale du Monde spécialisée dans la livraison de gâteaux à domicile, sise à Paris.

Décodus fonctionne très bien, mais aurait besoin d’investissements pour se développer. La pâtisserie n’étant pas son cœur de métier, Le Monde accepte de céder sa filiale au fonds d’investissement américain Ellebiho. Celui-ci assure croire en l’avenir de Décodus et promet déjà à ses employés d’étendre leur activité au monde entier. Mais il ne dispose pas, sur son compte en banque, du milliard d’euros que lui réclame Le Monde.

Le fonds Ellebiho va donc procéder à un achat par effet levier, ou LBO : il demande à sa banque de lui prêter le milliard d’euros nécessaire à l’achat. « Ne vous inquiétez pas, nous vous rembourserons rapidement en prélevant les profits de Décodus sur les prochaines années », explique les investisseurs du fonds à la banque. C’est donc Décodus qui va fournir à Ellebiho les fonds nécessaires pour se faire racheter.

Problème : les gâteaux Décodus se vendent moins bien que prévu à l’étranger. Les employés proposent aux patrons de Ellebiho de développer des offres « cupcakes » à destination du marché américain ou de confectionner des pâtisseries orientales pour le Maghreb, mais la réponse est négative : pour dégager rapidement des liquidités afin de rembourser la banque (et les intérêts qui accompagnent le prêt d’un milliard), les financiers d’Ellebiho imposent à Décodus des restrictions budgétaires drastiques et refusent tout investissement productif. Tout l’argent généré par les livraisons de gâteaux part en dividendes vers Ellebiho, qui pousse même Décodus à contracter de nouveaux prêts bancaires pour pouvoir se verser davantage de dividendes.

Cette logique entraîne Décodus dans une spirale infernale : faute de pouvoir investir, elle se fait dépasser, jusque sur son terrain parisien, par une start-up spécialisée dans l’ubérisation du gâteau, et n’a même plus les moyens de payer ses traites. Elle est alors placée en redressement judiciaire, avant d’être rachetée à prix cassé par une multinationale de l’agroalimentaire, pour 50 millions d’euros.

Le fonds d’investissement Ellebiho, qui a remboursé le prêt initial d’un milliard en pompant toutes les ressources de Décodus, a donc gagné 50 millions d’euros dans l’histoire.

Cette histoire correspond-elle à la réalité ?

L’histoire de Décodus est certes un peu caricaturale, mais elle reflète assez bien les risques du LBO. Ce montage financier peut fonctionner si les taux d’intérêts bancaires sont bas et que l’entreprise est florissante et dégage suffisamment de bénéfices pour rembourser sa dette et investir. A l’inverse, le LBO peut asphyxier les sociétés plus fragiles.

C’est ce qui est par exemple arrivé à Vivarte : le groupe d’habillement, propriétaire des enseignes André, La Halle ou Naf Naf, a frôlé la disparition en 2017 après avoir été racheté puis revendu en cascade par trois fonds d’investissement, jusqu’à accumuler une dette de 2,8 milliards d’euros. Les mêmes causent ont produit les mêmes effets chez SoLocal (ex-Pages jaunes), la SAUR ou SFR-Numéricable.

Le groupe Toys’R’Us doit quant à lui supporter un endettement de 7,5 milliards de dollars (6 milliards d’euros) depuis son rachat en 2005 par les groupes de capital-risque KKR et Bain Capital, via un LBO. En 2016, par exemple, 99 % de son bénéfice a servi à payer les intérêts bancaires de ce prêt, l’empêchant d’investir sur le numérique et de résister à la concurrence d’Amazon et Walmart.

Le LBO est particulièrement problématique lorsque survient une crise financière : confrontées à une baisse de leur chiffre d’affaires et à une hausse des taux d’intérêts, les entreprises rachetées peuvent se retrouver incapable de rembourser leurs créances et faire faillite.