Rassemblement à Princeton (New Jersey), le 14 mars. / Thomas Kergonou Jimenez

Chronique. Etudiant en master en géographie et urbanisme à l’ENS et à l’université de Paris-Nanterre, Thomas Kergonou Jimenez commence une chronique sur son semestre en échange à l’université de Princeton, dans le New Jersey.

Un mois jour pour jour après la fusillade dans un lycée de Parkland, en Floride, nous avons été plusieurs centaines d’étudiants de l’université de Princeton à nous associer à la National School Walkout [« Marche nationale des écoles »] organisé dans de nombreuses écoles du pays : il s’agissait, pour les élèves et pour les professeurs, de quitter leurs salles de classe pour protester contre l’absence de réglementation stricte des armes et pour rendre hommage aux victimes de Parkland.

Si le New Jersey a l’un des taux de mortalité dû à ces armes parmi les plus bas du pays, il est néanmoins toujours permis d’y posséder des armes de calibre 50 et de les porter ouvertement en public, en vertu du sacro-saint second amendement, qui garantit le port d’armes à feu dans le pays. L’objectif du mouvement est, entre autres, d’obtenir une vérification des antécédents judiciaires des potentiels acheteurs d’armes à feu, une réforme soutenue par 97 % des Américains, et l’interdiction des armes d’assaut militaires.

En participant à cette manifestation à Princeton, dont le mot d’ordre était « We call BS » — « Nous dénonçons les conneries » —, je me suis rendu compte de la situation dramatique du pays. Pionnier de la démocratie moderne, les Etats-Unis auraient pu adopter une législation de contrôle ou de restriction similaire à celle des pays européens. Les 15 500 morts en 2017 dues à des armes à feu semblent appartenir à une réalité anachronique.

« Il est possible d’acheter un fusil d’assaut avant d’avoir le droit d’acheter une bière »

Pourtant, ils existent bel et bien et, comme nous l’a rappelé Sarah Sakha, de l’association Princeton Against Gun Violence, ce sont des frères, des sœurs, des parents, des camarades qui continuent d’être assassinés par l’hypocrisie d’un pays où il est possible d’acheter un fusil d’assaut avant d’avoir le droit d’acheter une bière.

La manifestation s’est poursuivie par la prise de paroles d’étudiant·e·s qui ont connu des fusillades dans leurs lycées ou dont de proches ami·e·s ont été tué·e·s, ou se sont suicidé·e·s par arme à feu. Cela m’a fait prendre véritablement conscience de l’ampleur de ce drame national, les 15 500 victimes annuelles correspondant à autant de drames familiaux. Parmi ces morts, certaines minorités sont surreprésentées et, ici, personne ne l’oublie. Un enfant noir a ainsi dix fois plus de chance de mourir par arme à feu qu’un enfant blanc. Les personnes LGBTQ + sont elles aussi statistiquement largement plus menacées par les armes à feu. Aux Etats-Unis, les armes à feu renforcent ainsi les divisions et discriminations de genre, de race et d’orientation sexuelle. « What is the value of a child in this country ? » (« Quelle est la valeur d’un enfant dans ce pays ? »), interrogeait l’un des tracts distribués lors de la manifestation.

L’émotion était bien sûr palpable à ce rassemblement, et une minute de silence a été respectée en hommage aux victimes de Parkland, mais c’est la colère qui s’est également exprimée car, comme l’ont scandé des étudiant·e·s, depuis des années, « Nothing happened » : rien n’a été fait. Les fusillades se suivent et se ressemblent tragiquement, et la pression politique et financière exercée par la National Rifle Association continue d’empêcher une quelconque législation au niveau fédéral. Anika Ardi, étudiante à Princeton, a résumé cela dans un article pour le quotidien local : « Nous enverrions nos pensées et nos prières. Il y aurait un hashtag sur Twitter pour les victimes et pour leurs proches. L’événement serait couvert vingt-quatre heures par les médias, et le débat sur les armes resurgirait. Les mêmes gens diraient les mêmes choses. Et, finalement, rien ne se passerait. »

350 personnes ont manifesté, du jamais-vu

A Princeton, en dépit du calme apparent, les bornes d’appel d’urgence qui ponctuent le campus nous rappellent que le danger peut survenir partout et à tout moment. En discutant le lendemain avec Sarah Sakha, j’ai mieux compris l’ampleur de la mobilisation qui secoue aujourd’hui tout le pays : plus de 2 500 écoles, y compris dans l’Arizona, Etat conservateur, où a grandi Sarah Sakha, ont répondu à l’appel du National School Walkout de mercredi. Et ce, grâce aux prises de parole très médiatisées d’Emma Gonzalez ou de David Hogg, des lycéen·ne·s qui ont survécu à la fusillade de Parkland.

Des « Marches for our Lives » (« marches pour nos vies ») auront ainsi lieu dans des centaines de villes le 24 mars. De quoi donner de l’espoir à Sarah Sakha, qui lutte sur ces questions depuis quatre ans. La manifestation à l’université a réuni 350 personnes, du jamais-vu. Elle souhaiterait personnellement interdire toutes les armes à feu du pays, mais elle comprend bien que cette proposition est utopique.

L’objectif est donc celui d’une meilleure réglementation, et de renouveler la compréhension du second amendement, mal interprété, selon Sarah Sakha, depuis des décennies, et anachronique. En mobilisant l’élite américaine à travers l’université de Princeton et d’autres établissements prestigieux de l’Ivy League, cette étudiante espère pouvoir influencer dans quelques années la politique américaine sur ce sujet. Mais avant cela, en vue des élections de mi-mandat de 2018, un seul mot d’ordre pour les étudiant·e·s américain·e·s : « Go vote ! » (« Allez voter ! »).