Documentaire sur Arte à 23 heures

Le destin de Ginger Baker, né en Angleterre en 1939 et ­vedette de ce passionnant documentaire, dépasse tout ce que l’on peut imaginer. Musicien génial, caractériel notoire, héroïnomane impénitent, l’ancien batteur mythique de Cream, Blind Faith ou de Fela Kuti n’a jamais pu tenir en place. Riche puis ruiné à plusieurs reprises, il a vécu en ­Angleterre, en Californie, au Colorado, à Hawaï, en Jamaïque, en Italie, au Nigeria, en Afrique du Sud. Il a joué avec les plus grands, s’est fâché avec tout le monde ou presque, s’est pris de passion pour le polo et n’a jamais abandonné la batterie jusqu’à ce que des problèmes cardiaques lui interdisent, en 2016, de rejouer sur scène.

Orphelin de père à 4 ans, sa vie semble placée sous le signe de l’insécurité permanente. Et de la nécessité de prendre du plaisir (derrière sa batterie, en jouant au polo, avec les femmes, en s’enfilant des substances illicites), dès que l’occasion se présente.

Visage émacié et regard fou

Les archives filmées des années 1960 et 1970 dénichées par le réalisateur Jay Bulger montrent un grand rouquin au visage émacié et au regard fou. Elles font entendre aussi un batteur d’une puissance et d’une aisance rythmique inouïes. Les nombreux témoignages de partenaires musiciens ou de proches (ex-épouses, enfants) parlent de Ginger Baker avec, selon les cas, admiration, tendresse, effroi, tristesse ou mélancolie. D’Eric Clapton à Carlos Santana en passant par Charlie Watts, Nick Mason ou Stewart Copeland, pour ne citer que les plus célèbres, tous évoquent un personnage dont les traits et la vie dépassent l’entendement. Et un batteur aussi à l’aise avec un orchestre de jazz qu’avec un groupe de rock.

« Doux Jésus, Ginger joue comme un nègre », s’est exclamé un jour le mythique Max Roach (1924-2007). Le plus beau compliment que Ginger Baker pouvait recevoir de la part d’une de ses quatre idoles, les autres étant Phil Seamen (1926-1972), Art Blakey (1919-1990) et ­Elvin Jones (1927-2004). Des types qui, baguettes en main, ont élevé la batterie au rang d’un art. Filmé en 2012 dans son repaire sud-africain, Baker n’a rien perdu de son humour, de ses colères, de ses angoisses. Il parle de sa vie chaotique et douloureuse, de la musique, d’argent, de drogues, de femmes, de chevaux. Une belle vie.

Ginger Baker, batteur inconditionnel, de Jay Bulger (Etats-Unis, 2012, 90 min).