Série documentaire sur Arte à 16 h 30

Patrick Boucheron raffole des dates. Il en avait retenu 146 pour l’Histoire mondiale de la France (Seuil, 2017) et présenté 25 pour L’Avent des historiens, série présentée avec Sylvain Venayre, publiée chaque jour par Le Monde, du 1er au 25 décembre 2017. Voilà que l’historien signe une belle collection documentaire intitulée Quand l’histoire fait dates, diffusée les samedis après-midi sur Arte.

Conçue comme une invitation au voyage dans le temps, cette émission en dix épisodes porte sur dix dates qui ont marqué l’histoire de l’humanité. Certaines, comme 1789 ou 1945 sont ancrées dans notre mémoire collective. Patrick Boucheron en restitue la densité et la complexité. Ainsi, 1492 n’est pas seulement l’année du voyage de Christophe Collomb, c’est aussi celle de la prise de Grenade et de l’expulsion des juifs d’Espagne. Si cette année ouvre un temps nouveau, l’époque moderne, elle, appartient aussi au Moyen Age féodal et conquérant.

Eclairages pointus

L’historien, dont on aurait été surpris qu’il se contente des dates inévitables, s’intéresse également aux dates moins connues et moins certaines, telle la chute d’Angkor en 1431. « On peut aimer les moments où l’histoire est prise en défaut, où on est plongés dans un océan d’incertitudes », observe-t-il. La temporalité d’Angkor, qu’il étale sur plus de douze siècles – de sa fondation en 802 à aujourd’hui –, lui permet de ­porter son attention sur une « date très certaine, qui forme une entaille dans la mémoire du XXe siècle » :le 17 avril 1975, qui voit les Khmers rouges entrer dans Phnom Penh.

Patrick Boucheron montre ainsi que, selon les ères géographiques et selon les époques, il existe différentes textures de temps. Il en offre une belle illustration dans les deux épisodes diffusés samedi 17 mars, consacrés à des dates de fondation. Dans le premier, dont le sujet est la crucifixion du Christ en 33, il remarque avec finesse que, si le temps chrétien commence avec la naissance du Christ, c’est la crucifixion qui lui donne son sens et sa direction. Lucide, l’historien, qui insiste sur « cette manière que le christianisme a eue de coloniser le temps », rappelle que cette « colonisation imperceptible » repose sur une croyance feinte : l’Occident suppose que le monde se plie à son calendrier.

Image de Médine (Arabie saoudite), extraite du deuxième volet de la série documentaire. / © Les films d'Ici

Le second épisode sur l’Hégire, année zéro de l’islam (622 de notre ère), est, pour lui, l’occasion d’évoquer un « temps compacté », un « temps dramatisé », celui du passage de Mohamed, de La Mecque vers Médine. Il montre, carte à l’appui, comment le Prophète et ses compagnons ont pu fonder l’islam dans un « angle mort géopolitique », avant de se muer en communauté politique porteuse de croissance. Soucieux de restituer l’islam à son histoire, ne cédant rien aux fondamentalistes, il conclut sur une fulgurance : « Au fond, être historien, c’est refuser de se laisser intimider par une scène originelle. »

Merveilleux conteur, pédagogue à la diction élégante, il met également à contribution des spécialistes pour répondre à des questions précises. Les éclairages pointus d’Anne-Emmanuelle Veïsse sur l’Egypte ou de François-Xavier Fauvelle sur le discours de Nelson Mandela en 1990 permettent ainsi de changer de rythme et d’introduire d’autres visages. Servi par une iconographie variée et des animations ludiques et agrémenté par des images tournées à Angkor, Le Caire, La Mecque, Jérusalem ou Grenade, chaque épisode donne à voir une petite enquête de vingt-six minutes, bâtie avec une énergie joyeuse. Brillant.

Quand l’histoire fait dates, de Patrick Boucheron et Denis van Waerebeke (Fr., 2017, 10x26 min).