Lee Eun-eui à Séoul le 8 mars. / KIM HONG-JI / REUTERS

Elle s’appelle Lee Eun-eui et a osé briser le silence et ouvrir la voie du mouvement #MeToo contre les agressions sexuelles dans la très conservatrice Corée du sud. A 44 ans, cette commerciale est partie à l’assaut de l’entreprise Samsung et a gagné sa plainte pour harcèlement, avant de changer de carrière pour devenir avocate. Elle consacre désormais son énergie à aider les victimes d’abus sexuels.

Le mouvement #MeToo n’avait initialement rencontré que peu d’écho en Corée du Sud. Les victimes craignant de perdre leur emploi et d’être ostracisées si elles portent plainte. Mais de plus en plus de Sud-Coréennes sortent du silence pour accuser des puissants du monde de la politique, des arts, de l’éducation ou encore de la religion.

Mme Lee est une pionnière. Commerciale d’élite chez Samsung Electro-Mechanics, unité de composants du conglomérat, elle s’est plainte en 2005 auprès de sa direction du comportement d’un supérieur qui l’avait touchée et harcelée verbalement pendant des années.

« Pendant plus d’un an, on ne m’a plus donné de travail »

Le supérieur a été muté sans aucune enquête et Mme Lee fut affublée de l’étiquette d’agitatrice ayant « poignardé » son patron dans le dos. « Pendant plus d’un an, on ne m’a plus donné de travail. (…). Mon évaluation professionnelle a plongé », témoigne-t-elle.

Elle fut mutée dans une autre unité. Son nouveau chef lui dit qu’il ne l’aimait pas et qu’il ne voulait pas travailler avec elle. « Les autres collègues refusaient aussi de me parler. » Elle a sombré dans la dépression. Elle avait le choix entre démissionner ou « rester et subir en silence des entraves professionnelles », relate-t-elle. Mais « je n’avais rien fait de mal. Alors j’ai décidé de me battre ».

Elle a porté plainte pour harcèlement sexuel et moral auprès de la Commission nationale des droits de l’homme, puis déposé plainte au pénal.

Samsung pèse un cinquième du PIB de la onzième économie mondiale. Son pouvoir de lobbying n’a pas d’égal, à tel point que le pays est baptisé parfois « République de Samsung ». Samsung a tout démenti, mais la Commission a donné raison à Mme Lee avant qu’un tribunal lui octroie en 2010 37,5 millions de wons de dommages et intérêts (28 400 euros).

Combat judiciaire

Cette victoire judiciaire avait fait la « une » des journaux dans une société toujours profondément patriarcale. La Corée du Sud est régulièrement à la traîne des classements de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) relatifs à l’égalité salariale et aux femmes dans le management.

Pendant son combat judiciaire, Mme Lee a reçu de nombreux messages de salariées de Samsung la remerciant d’obliger la direction à mieux réagir aux plaintes. « Ce sentiment que ma lutte solitaire portait ses fruits m’a donné tant de forces », se rappelle-t-elle.

Elle a claqué la porte de Samsung, fait des études de droit et ouvert son cabinet en 2014. Aujourd’hui, environ 70 % des dossiers qu’elle traite ont un rapport avec le harcèlement sexuel au travail ou à l’école.

Elle s’est occupée par exemple d’une actrice dont des scènes dénudées avaient été incluses dans un film sans son consentement et d’une prostituée qui accusait une star de la K-pop de l’avoir violée dans les toilettes. « Nombre de mes clientes viennent me voir à cause de mon pedigree », dit-elle.

Les accusations s’enchaînent

En janvier, la procureure Seo Ji-hyeon a évoqué à la télévision les entraves professionnelles auxquelles elle s’était heurtée en dénonçant à sa hiérarchie le harcèlement sexuel infligé par un supérieur.

Cette interview a encouragé de nombreuses femmes à faire des révélations similaires, accusant des hommes politiques, réalisateurs ou écrivains.

Au cabinet de Mme Lee, les demandes d’information vont croissant. Mais, souligne-t-elle, les fondements de la société doivent encore changer. Le courage de victimes ayant dénoncé des personnalités a été largement salué. Mais « nous devons nous occuper des victimes autour de nous plutôt que de celles qu’on ne voit qu’à la télé », souligne l’avocate.

« La réaction de Samsung à ma plainte pour harcèlement sexuel fut vraiment désastreuse. Mais j’ai peur que, dans les autres entreprises, ce ne soit encore pire. Beaucoup d’entreprises considèrent les plaignantes comme des enquiquineuses, des personnes à problème, ou des hypersensibles, ou tout simplement des grandes gueules. »

Les associations féministes accusent aussi la justice d’être trop clémente envers les agresseurs. En Corée du Sud, le viol est caractérisé par la « violence ou l’intimidation » plutôt que l’absence de consentement. Aux yeux de Mme Lee cependant, c’est moins la loi qui pêche que les procureurs et les juges qui l’appliquent. Les décisions judiciaires « reflètent souvent l’état d’esprit d’une société dominée par le masculin ».