Le premier ministre, Edouard Philippe, a présenté, lundi 19 mars, le plan 2018-2020 de lutte contre le racisme et l’antisémitisme, dont Internet est la première priorité. Un groupe de travail sera chargé de préparer une loi destinée à faire pression sur les plates-formes numériques. Le plan sera piloté par la délégation interministérielle à la lutte contre le racisme, l’antisémitisme et la haine anti-LGBT (Dilcrah). Son responsable, Frédéric Potier, en détaille les grandes lignes.

Depuis votre arrivée, quel est votre constat concernant les plates-formes numériques ?

On constate tous les jours un océan de haine sur Internet, d’une ampleur que je ne soupçonnais pas en prenant mes fonctions. La violence y est extrêmement aiguë. Or je suis persuadé que cette violence verbale peut précéder la violence physique. C’est pourquoi la première priorité de ce plan national, c’est Internet. On sait que ce sera un travail au long cours, qui ne sera pas facile, mais nous mènerons cette bataille dont le premier ministre a fait un combat personnel.

Aujourd’hui, la Dilcrah signale au procureur de la République les faits qui nous semblent illégaux. Nous obtenons des résultats, nous arrivons à faire fermer des pages Facebook, à faire supprimer des Tweet, à faire bloquer des chaînes YouTube. Mais nous devons construire une réponse de plus grande ampleur.

Le plan prévoit une loi. Quels nouveaux outils créera-t-elle ?

D’abord, nous porterons une initiative pour faire modifier le cadre européen. Mais sans attendre cette négociation, qui prendra du temps, nous ouvrons le chantier du cadre législatif national. C’est l’objet de la mission confiée à Karim Amellal [écrivain], Laetitia Avia [députée LRM de Paris] et Gil Taïeb [vice-président du CRIF]. Ils regarderont dans le détail les pistes d’ores et déjà retenues, notamment les propositions très concrètes faites par les associations, dont je salue le travail. Ainsi, les plates-formes devront avoir en France une représentation juridique [vers qui pourront se tourner les pouvoirs publics]. Elles devront rendre très accessibles les dispositifs de signalement pour que tout internaute puisse signaler facilement un contenu qui lui semble illicite. Nous devrons pouvoir fermer des comptes anonymes qui, de manière massive et répétée, diffusent des contenus de haine.

C’est impossible aujourd’hui ?

C’est très compliqué. Cela suppose des efforts extrêmement importants par rapport au nombre de comptes ou de Tweet. Dans les toutes prochaines semaines, nous allons étendre la possibilité des enquêtes sur Internet sous pseudonyme aux faits de racisme et d’antisémitisme. Aujourd’hui, elles sont limitées aux enquêtes sur des contenus terroristes et pédopornographiques.

Depuis octobre, l’Allemagne a une telle loi. Est-ce un modèle ?

Le président de la République a dit que c’était un exemple inspirant. L’Allemagne est à l’avant-garde de ce combat sur Internet. Sa loi instaure des mécanismes de retrait de contenus illicites très précis, contraignants, avec des pénalités très lourdes [pour les plates-formes] qui peuvent aller jusqu’à 50 millions d’euros. Elle est extrêmement intéressante mais elle a aussi créé des débats sur sa compatibilité avec la liberté d’expression. Elle peut nous aider à trouver notre propre point d’équilibre entre la liberté d’expression et la sanction de contenus de haine.

Que faut-il encore exiger des plates-formes ?

Ce sera à la mission de le déterminer. Mais on peut aussi parler de la question de l’enfermement algorithmique. Il ne faut plus que, lorsque vous consultez une vidéo haineuse, on vous recommande systématiquement d’autres contenus du même type. Il existe des réponses techniques.

Hors Internet, comment améliorer le recueil des plaintes ? Faut-il, comme au Royaume-Uni, que les victimes puissent qualifier elles-mêmes les faits de racistes ?

Il y a une vraie volonté de transformer la façon dont on accueille les victimes. Nous allons étudier le système en vigueur au Royaume-Uni et dans les pays nordiques. Dans ces pays, les enquêtes judiciaires partent du qualificatif posé par la victime, de sa perception, que ce soit une circonstance aggravante raciste, antisémite ou homophobe. Une mission en ce sens sera confiée à l’Institut national des hautes études de la sécurité et de la justice (INHESJ).

C’est un système complètement différent du nôtre, qui supposerait un vrai big-bang juridique et culturel. Il faut aller l’étudier, le tester. Les Britanniques répertorient 62 000 actes de haine là où nous en avons 1 800. Cela montre bien qu’il y a une façon de compter, de nommer les choses, et qu’il ne faut pas être figé sur notre système français. Il faut pouvoir identifier nos marges de progrès et proposer des mesures concrètes.

Nous avons souhaité doubler cette étude d’une expérimentation locale avec un réseau d’enquêteurs et de magistrats spécifiquement formés aux crimes de haine et aux discours racistes et antisémites, pour que nous puissions mieux caractériser la façon dont les plaintes sont prises en compte et que l’on puisse, le cas échéant, modifier les procédures (auditions, PV, accueil des victimes).

Parleriez-vous d’un nouvel antisémitisme ?

J’ai utilisé ce terme non pas pour l’opposer à l’ancien, mais pour dire que le vieil antisémitisme, qui vient notamment du XIXe siècle, alimente un nouvel antisémitisme qui, lui, provient plutôt de l’islamisme radical. Il faut combattre les deux avec la même force. Il faut pouvoir répondre à ces deux types de haines par des supports adaptés et non par une posture trop moralisatrice.

Comment faire en sorte qu’une famille juive menacée ne soit plus contrainte de déménager ou qu’un élève juif ne soit pas poussé à quitter l’école publique ?

Le combat contre le racisme et l’antisémitisme est aussi un combat contre l’ignorance et l’obscurantisme. Dans ce combat, l’école de la République ne peut rester sans réaction. Le plan propose la création d’une équipe nationale de réaction rapide pilotée par le ministère de l’éducation nationale et la Dilcrah. Elle devra pouvoir proposer aux établissements, aux enseignants, des interventions lorsque des difficultés nous remontent. Notre idée est d’utiliser la palette d’outils que la Dilcrah a contribué à faire émerger (outils pédagogiques, associatifs, avec des liens avec des lieux de mémoire) et de les proposer aux établissements et aux enseignants qui en auraient le plus besoin. Parallèlement, nous poursuivons les efforts de formation, y compris en ligne.

Quelle place voulez-vous donner aux associations ?

Nous devons lutter contre les angles morts de la République par la mobilisation de toute la société. Cela passe aussi beaucoup par les associations. Nous allons créer un prix Ilan Halimi [victime en 2006 du « gang des barbares »], qui sera remis chaque année le 13 février. Nous souhaitons le faire avec les associations pour favoriser et récompenser les actions à destination de la jeunesse. J’ai à cœur de travailler avec le plus d’associations possible et j’assume tout à fait que, parfois, elles puissent se montrer critiques envers certaines politiques publiques. Mais sur ce qui nous rassemble – le refus du racisme, de l’antisémitisme, de la haine anti-LGBT –, il doit y avoir un front uni.

Des associations dénoncent l’existence de mécanismes discriminants, voire racistes, dans l’action publique…

Je le dis clairement : il n’y a pas de racisme d’Etat. Cette notion, c’est une aberration. Mais cela ne veut pas dire que tout va bien dans le meilleur des mondes. Il faut améliorer la formation des agents publics, qui sont des Français comme les autres, avec parfois des préjugés. Il faut qu’on puisse les aider à les surmonter. C’est pour cela que nous allons lancer un grand plan national de formation dans les trois fonctions publiques. Nous allons intervenir aussi davantage dans les commissariats, dans les gendarmeries, à l’Ecole nationale de la magistrature.