Vladimir Poutine dans son QG de campagne le soir de sa réélection le 18 mars 2018. / MIKHAIL KLIMENTYEV / AFP

Editorial du « Monde ». Loin de nous l’idée de relativiser l’ampleur de la victoire de Vladimir Poutine, réélu, dimanche 18 mars, président de la Fédération de Russie avec 76,66 % des suffrages exprimés, après dix-huit ans au pouvoir. C’est, à n’en pas douter, une victoire éclatante, un triomphe, un raz-de-marée, un plébiscite : saluons-les comme tels. Non seulement le chef du Kremlin réussit, grâce à un régime sportif dont il nous fait généreusement profiter, à maîtriser les effets de l’usure de l’âge, mais l’usure du pouvoir lui est totalement étrangère.

Les esprits chagrins feront valoir que, lorsque l’on dispose de tous les leviers du pouvoir, obtenir les trois quarts des voix n’est pas forcément un exploit. Certes, Vladimir Poutine a su écarter, de manière plus ou moins radicale, tous les opposants dignes de ce nom ; une campagne électorale sans réels adversaires, beaucoup en rêvent, lui l’a fait. Certes, M. Poutine contrôle la totalité des médias publics et en particulier la télévision, dont l’influence, dans un pays aussi vaste que la Russie, est déterminante.

Certes, le président Poutine peut également s’appuyer sur l’ensemble des forces de sécurité, à commencer par les très efficaces services de renseignement, dont il a été un officier de premier plan avant de se lancer en politique. Certes, il a placé ses amis à la tête de toutes les grandes entreprises du pays. Pour cette quatrième campagne électorale – voire cinquième, si l’on considère que celle de 2008 était aussi la sienne, même si le candidat s’appelait Dmitri Medvedev –, Vladimir Poutine était tellement maître de la situation qu’il n’a même pas jugé utile de s’appuyer sur un parti politique. L’Etat, c’est lui.

Le culte de la force

M. Poutine a également été servi par une situation internationale à laquelle il a largement contribué. Son dernier mandat a été marqué par le retour de la Russie sur la scène mondiale, une fierté qui masque ­évidemment de nombreuses faiblesses, mais dont il a su jouer auprès de ses compatriotes, comme en témoigne sa décision de faire coïncider l’élection présidentielle avec le jour anniversaire de l’annexion de la Crimée par Moscou.

La force est une ­valeur historiquement respectée en Russie, que M. Poutine cultive, sous ses diverses formes, avec une constance remarquable. La tension avec l’Occident qui a entouré la dernière semaine de la campagne a été pour lui l’occasion de montrer que la Russie était une puissance redoutée.

Ajoutons à tous ces atouts une fraude électorale qui, si elle n’a pas été déterminante, a sans doute enjolivé le score final, et la pression sans précédent exercée sur les électeurs, y compris sur leurs lieux de travail, pour qu’un taux de participation correct légitime le processus : voilà, réunis, quelques éléments rationnels susceptibles d’expliquer le score de 76,66 % des voix et de 67 % de participation.

La question la plus importante, cependant, n’est pas de savoir comment Vladimir Poutine a été réélu, mais ce qu’il compte faire de ce nouveau mandat, qui doit le maintenir au pouvoir jusqu’à 2024. Curieusement, il en a peu parlé pendant la campagne électorale. Le 1er mars, le maître de la Russie a promis à ses concitoyens des missiles « comme personne d’autre n’en possède actuellement ». Il s’est également engagé à réduire de moitié un taux de pauvreté « inacceptable » ; sans pour autant dire comment. Maintenant qu’il a grassement nourri les oligarques et ses amis politiques, il lui reste à nourrir son peuple.