Rabah Slimani salue les supporteurs français présents à Cardiff, le 17 mars 2018. / GEOFF CADDICK / AFP

Au service des sports du Monde, il y a les éternels optimistes et les indécrottables pessimistes. Pour les premiers, ce Tournoi 2018 est l’hirondelle qui annonce le printemps après un long hiver. Pour les autres, les maux bleus n’ont pas disparu avec la moustache de Jacques Brunel et une victoire au forceps contre l’Angleterre. Le débat est lancé.

Demain tout redevient possible

Aragon préférait le cyclisme. Mais les mots du poète conviennent aussi au XV de France : « Le bonheur existe et j’y crois. » Oui, les Bleus peuvent espérer mieux qu’une quatrième place dans le Tournoi (encore heureux…). Ce n’est ni cocardier ni excessif de le dire.

Venons-en aux faits et aux défaites. D’accord, les Bleus ont perdu trois matchs sur cinq. Mais ce fut sans jamais sembler loin du compte. Ah, ce drop de l’Irlandais Sexton (ce Jonny fait toujours mal) juste avant le coup de sifflet ! Ah, ce coup de pied mal ajusté de François Trinh-Duc le Français, contre les Gallois ! Ah, ce match perdu en Ecosse après avoir mené jusqu’à l’heure de jeu !

Trois défaites « encourageantes » (comme on dit dans le vestiaire) auxquelles s’ajoutent donc deux victoires. L’une, attendue de toutes parts, contre l’Italie ; l’autre, survenue de nulle part, contre l’Angleterre : la première contre le XV de la Rose dans la compétition depuis 2014… Tout cela prête à optimisme après, faut-il le rappeler, une année 2017 exécrable pour le XV de France. En juin, les Bleus avaient perdu leur nord et leur jeu en Afrique du Sud. En novembre, à domicile, mêmes défaites contre les Sud-Africains et les Néo-Zélandais ; suivies d’un match nul, à tous les égards, contre le Japon.

D’accord, l’équipe de France cherche toujours son jeu. Mais elle semble déjà avoir trouvé aujourd’hui quelque chose d’intéressant : « Une assise de joueurs » et « une assise d’état d’esprit », selon les mots de leur nouveau sélectionneur, Jacques Brunel, qui n’a pas totalement tort là-dessus.

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L’état d’esprit, d’abord : il en fallait un minimum pour se redresser après les deux premières défaites, contre l’Ecosse et l’Irlande. Cette équipe se cherche encore son attaque, mais elle a déjà trouvé sa défense : seulement cinq essais concédés dans tout le Tournoi. Elle le doit à une première ligne déjà bien établie : Guilhem Guirado au talon, les piliers Jefferson Poirot et Rabah Slimani à ses côtés.

Le capitaine Guirado, justement, a longtemps semblé esseulé depuis deux ans. Moins maintenant : d’autres joueurs se sont affirmés cette année comme des cadres en puissance. A commencer par un autre Toulonnais, Mathieu Bastareaud, un revenant de 29 ans, capitaine de substitution contre les Gallois pour remplacer son coéquipier forfait sur blessure. On pense aussi au jeune Yacouba Camara et à l’un peu moins jeune Wenceslas Lauret, en troisième ligne.

Tous ces hommes-là ont malmené les Gallois en leur Millennium Stadium pendant tout le match. Ils pourraient être bien aidés, à l’avenir, par un nommé Teddy Thomas. De fait, le XV de France a joué une bonne partie du Tournoi sans son joueur le plus en jambes : l’ailier du Racing, auteur de trois essais pour les deux premiers matchs, faisait partie des fêtards d’Edimbourg. Depuis, le rugby français commence à se remettre de sa gueule de bois.

Adrien Pécout

Et là c’est le drame, François Trinh-Duc rate la pénalité de la victoire face aux Gallois. / REBECCA NADEN / REUTERS

La route est droite, mais la pente est encore dure

Pour un peu, les Bleus auraient pu défiler sur les Champs-Elysées entre deux flocons de neige pour célébrer cette quatrième place et leurs “presque” victoires contre l’Irlande, l’Ecosse le Pays de Galles. Le rugby français en est réduit à vendre de l’exploit face à des nations au réservoir (de licenciés) de citadine, quand lui oublie qu’il en dispose un de berline. « Avec les ressources naturelles des deux pays, on doit être dominé à chaque fois ! Je trouve ça incroyable qu’on puisse battre la France », s’étonnait dans L’Equipe l’ancien international écossais John Beattie. Comme lui, sans doute se fait-on encore une certaine idée du XV de France.

Alors soyons indulgents. Jacques Brunel a trouvé au pied de son sapin de Noël l’homme malade du rugby mondial. Et le médecin de garde gersois l’a plutôt bien retapé avec des cachets de pragmatisme à prendre trois fois par jour et un régime riche en rigueur défensive. C’est déjà ça. Reste que cette équipe a perdu la recette pour gagner. En attendant, elle a développé une certaine habilité à rendre l’adversaire plus vilain qu’il ne l’est vraiment. Elle a été aidée dans sa tâche par des Celtes et Anglais aux jambes lourdes comme tous les quatre ans à la sortie de la tournée estivale des Lions britanniques.

Mais à chacun ses problèmes. Et quand on n’arrive même pas à battre le Japon, on en revient à ses bonnes vieilles vertus de virilité et de combat. Mais mettre les barbelés, gratter dans les rucks comme des affamés et se nourrir des erreurs adverses peut vous permettre de gagner un match à l’héroïsme (comme face à l’Angleterre), mais est-ce un programme de reprise durable ? La dernière Coupe du monde est là pour rappeler que le rugby qui gagne est celui qui confisque le ballon, multiplie les temps de jeu et tout ça saupoudré d’un peu de flair. Pour l’instant, ce serait trop en demander à cette équipe, assemblage sympathique mais foutraque d’anciens tricards (Bastareaud, Grosso) de soldats de devoir (Guirado, Lauret) et d’espoirs encore un peu verts (Camara, Poirot).

Il y aurait de quoi construire à partir de ce pépin d’équipe, capitaliser sur ces défaites encourageantes. Sauf qu’une tournée de trois matchs en Nouvelle-Zélande se profile en juin au lendemain de la finale du championnat. Pour un convalescent, c’est une idée aussi judicieuse que balader un ex-alcoolique en sortie de cure dans les rues de Dublin un soir de Saint-Patrick. Et puis le Top 14 reste une terrible essoreuse. A manger sans digérer sa cinquantaine de matchs par saison, un Yoann Maestri a pris un coup de vieux avant l’heure. Paul Gabrillagues, son successeur en deuxième ligne, risque de connaître le même sort à trop donner son corps et sa jeunesse pour la patrie et un Stade Français en péril.

Et on n’oublie pas ce mal endémique, ce poste d’ouvreur toujours orphelin de son titulaire. Entre un Jalibert fauché dans la fleur de ses 19 ans, un Beauxis à la gestion de jeu lunaire et un Trinh-Duc coulé à Cardiff, Jacques Brunel a peu avancé. Mais il savait d’où il partait : de très loin.

Alexandre Pedro